1.3.1. Le cas de l’hypothèse attentionnelle de la saillance perceptive

Une explication tout à fait intuitive de l’effet d’isolation est la suivante : la saillance perceptuelle des événements distinctifs nécessite l’orientation de l’attention sélective. Jenkins et Postman (1948) ont été les premiers à proposer que cette attention différentielle soit une condition nécessaire pour l’effet d’isolation. Green (1956) propose que l’effet d’isolation résulte en une surprise induite par un changement des items précédents. « La surprise augmente l’attention allouée à un item et de ce fait permet une meilleure récupération ». Cette idée est soutenue par l’hypothèse de violation des attentes qui postule que la nouveauté (ou la rupture par rapport aux traits communs perceptifs ou conceptuels) crée une surprise et résulte en un engagement de l’attention (Hirshman, Whelley & Palij ; 1989).

La saillance perceptive est définie par « la fonction de la différence de valeur entre ce qui est contenu à une position donnée et ce qui se trouve aux positions adjacentes. Plus un item se différencie de ses voisins sur une dimension perceptive analysée en vision préattentive, plus il est prioritaire dans la sélection visuelle. Il existe plusieurs niveaux d’analyse de différence ; celui qui est plus différent des autres est sûrement saillant, de plus, la différence des autres items entre eux aussi est calculée et donne lieu à des différentes stratégies d’orientation de l’attention. Le rôle de la saillance dans le guidage du focus attentionnel a été mis en évidence dans un grand nombre d’études (Chauvin, Hérault, Marendaz, & Peyrin, 2002; Muhlenen, Rempel, & Enns, 2005 ; Nothdurft, 2006 ; 1993b ; 2000 ; Theeuwes, 1991a ;1992 ;1994) » (cités dans Chiaramonte, 2007). La particularité de la saillance perceptive est qu’elle n’est pas due à une caractéristique particulière. Si nous regardons de plus près les exemples ci-dessous (figure 2), nous voyons bien que ce n’est pas la présence de la propriété verticale qui détermine la sélection, mais bien le contraste, la discontinuité avec le contexte.

Figure 2. Exemple de stimulus saillant, la saillance est due aux différence entre un item cible et ses voisins et à la similarité entre les voisins. Évidemment, si tous les items sont différents les uns des autres, aucun ne sera saillant (cas E) (Figure tirée de Chiaramonte, 2007).
Figure 2. Exemple de stimulus saillant, la saillance est due aux différence entre un item cible et ses voisins et à la similarité entre les voisins. Évidemment, si tous les items sont différents les uns des autres, aucun ne sera saillant (cas E) (Figure tirée de Chiaramonte, 2007).

Rundus (1971) suggère que la fonction de l’attention est d’engager la répétition mentale et, de ce fait, un item isolé est mieux rappelé car il a été l’objet d’une répétition plus important que les autres items, donc il en résulte qu’il bénéficie d’une durée d’encodage plus important que les autres.

Schmidt (1991) propose ce qu’il appelle une théorie de la congruence : « Les événements distinctifs sont ceux qui sont inconsistants avec le cadre conceptuel ou bien ceux qui contiennent des propriétés saillantes qui ne sont pas présentes dans la mémoire. Ces situations permettent d’augmenter l’attention selon la proportion d’incongruité des items. ». Schmidt postule que les items saillants nécessitent un temps de traitement plus long que les autres et que cette durée varie selon la force avec laquelle la saillance est jugée. Selon lui, c’est le rôle de l’attention pendant l’encodage qui fait apparaître au sujet l’item incongru. Cependant, les propositions de Schmidt sont particulièrement centrées sur le cas de l’isolation purement perceptive. Par exemple, dans les travaux de Rabinowitz et Andrews, en 1973, il s’agissait d’isoler un mot écrit en rouge parmi d’autres mots écrits en noir. Le rappel du mot écrit en rouge était comparé à celui du même mot lorsqu’il était écrit en noir. Dans ce cas précis, le mot cible est mieux rappelé lorsqu’il est écrit en rouge que lorsqu’il est écrit en noir. Selon Schmidt, cet effet ne peut être expliqué que par l’orientation de l’attention vers l’item perceptivement incongru avec les autres exemplaires de sa liste.

L’une des critiques que l’on peut faire à l’hypothèse attentionnelle est qu’elle n’explique pas pourquoi l’effet de distinctivité se manifeste particulièrement avec une tâche de rappel libre et pas systématiquement avec la tâche de reconnaissance. Ainsi en 1987, Wollen et Margres proposaient que, bien que l’effet de distinctivité se manifestait systématiquement en rappel libre, ce n’était pas le cas de la reconnaissance. Si l’item isolé (ou incongrus selon Schmidt) conduisait à une réponse attentionnelle plus importante pour cet item, il n’y a aucune raison de penser que l’effet de distinctivité se manifesterait pour une tâche spécifique parmi les tests directs de la mémoire mais pas pour l’autre.

Une autre critique formulée à l’égard de l’hypothèse attentionnelle est qu’elle présume que le sujet consacre plus de temps à traiter l’item isolé, comme le suggère Rundus (1971), car il bénéficie d’une répétition mentale induite par le focus attentionnel. Selon cette explication, les sujets passent proportionnellement plus de temps à traiter les items distinctifs lorsqu’ils sont présentés en listes panachées qu’en listes homogènes. Cependant, il n’existe à l’heure actuelle, aucun travail qui a mis en évidence ce phénomène. Inversement, cette théorie postule également que le meilleur rappel des items distinctifs ne doit survenir que lorsque les items isolés bénéficient d’un temps de traitement plus long que les autres items. Toutefois, les travaux qui manipulent la congruité orthographique et la nouveauté (Hunt & Elliott, 1980 ; Hunt & Worthen, 2006) ont montré que l’effet de distinctivité peut être obtenu quel que soit le temps de présentation.