1.3.1.2. L’importance simultanée de la différence et de la similarité des items pour la distinctivité

Pour montrer que la différence entre un item et les autres items qui l’accompagnent n’est pas la seule condition permettant d’obtenir un effet de distinctivité, von Restorff avait comparé deux conditions. Dans une condition dite d’isolation, elle présentait 9 chiffres et un pseudomot. Dans une condition hétérogène, tous les items étaient différents les uns des autres. Par exemple, le même pseudomot de la liste précédente, était présenté avec un point d’exclamation, le signe dollar, un mot, une syllabe, un nombre ou un chiffre. Cette situation est illustrée dans la figure 4 ci-dessous.

Figure 4. Exemple de Geraci et Rajaram (2004) pour illustrer les propos de von Resforff dans une liste homogène (à gauche) et une liste hétérogène (à droite).
Figure 4. Exemple de Geraci et Rajaram (2004) pour illustrer les propos de von Resforff dans une liste homogène (à gauche) et une liste hétérogène (à droite).

Après la présentation de ces deux listes, elle a trouvé que l’item isolé (le pseudomot) dans la condition homogène bénéficie d’un meilleur rappel contrairement au pseudomot dans la liste hétérogène. Cependant, le contenu de la liste hétérogène était dans l’ensemble mieux rappelé que les chiffres de la liste homogène.

Koffka (1935) souligne le fait que les items reliés (les chiffres) sont mal rappelés parce que les items individuels ont perdu leur « identité » dans une relation, ce processus qu’il a appelé « agrégation ». Bien que le mot isolé soit toujours différent des autres items dans la liste hétérogène, maintenant que le contexte a changé, cet item isolé cesse d’être distinct. Cette illustration nous montre que la différence en soi n’est pas suffisante pour obtenir la distinctivité. Si la différence des items était une condition suffisante, l’ensemble de la liste hétérogène devrait être rappelé. Dans la liste homogène, tous les chiffres sont similaires et c’est à cause de leur similarité que l’item isolé paraît différent. De ce fait, pour expliquer l’effet de distinctivité, il convient d’étudier l’importance de la similarité des exemplaires dans une liste.

Par exemple, les travaux de Cohen (1963) prouvent que les items sont mieux rappelés s’ils sont organisés en catégories versus sans catégories. Dans une expérience, Cohen présente tous simplement des mots qui appartiennent à différentes catégories. Il montre que lorsque le matériel est présenté avec des catégories apparentes, les exemplaires d’une catégorie peuvent servir d’indices de récupération et de ce fait augmenter le nombre de rappel. Tulving et Pearlstone (1966) ont montré que donner les noms des catégories aux sujets lors du rappel libre améliore les performances. Ils ont demandé aux sujets d’étudier des listes dont les titres faisaient référence aux catégories. Les performances ont été testées en présence ou en l’absence des titres qui représentent les indices catégoriels. Les performances étaient meilleures lorsque le nom des catégories était présent dans le titre que la condition contrôle.

À la lumière de ces exemples, une question légitime se pose : comment la similarité des items dans un contexte homogène permet de rendre compte de la différence d’un autre item inséré dans ce contexte ?

Selon Marchal (2000), la similarité définit les liens qu’entretiennent les items d’une liste. Lors de la récupération, cette similarité peut être utilisée pour délimiter un espace de recherche. Cette information permet de différencier les items au sein d’un ensemble et permet de définir quels sont les items cibles à rappeler au sein d’une liste donnée. Ainsi, dans les cas de la distinctivité des informations, la similarité aura une importance particulière car elle contribue à extraire les relations qu’un item différent entretient avec les autres items présents dans le contexte d’étude. Pour cette raison, pour Einstein et McDaniel (1987) et pour Nelson (1979) la distinctivité d’une information est inversement proportionnelle au nombre d’attributs partagés entre cette information et les autres informations. Pour Hunt & Einstein, (1981) et Hunt & Elliott, (1980), un encodage différentiel qui prend en compte à la fois le nombre d’attributs similaires et le nombre de différences entre chaque attribut de chaque stimulus, permet, au cours de la récupération, une reconstruction plus efficace des items distincts.

La différence entre le traitement relationnel (la similarité) et distinctif (la différence) a récemment été décrite par Medin et Schaffer, (1978) et Medin, Goldstone et Genter (1990) dans le cadre des modèles d’exemplaires de la catégorisation. Selon Hunt (2006), le modèle des exemplaires est « probablement » l’un des meilleurs modèles pour rendre compte de l’importance de la similarité et de la différence des items exclusivement pour la tâche de rappel libre.

En effet, dans ce modèle, les attributs de chaque exemplaire sont à l’origine des jugements de similarité et de différence. Selon Medin et al., pendant l’encodage, interviendrait une comparaison des attributs des exemplaires. Le nombre d’attributs communs permet de juger deux exemplaires comme étant plus ou moins similaires. Suivant la même logique, l’absence relative d’attributs communs entre des exemplaires permet de juger les exemplaires différents. En clair, selon ces auteurs, si le jugement de similarité et de différences sont deux tâches différentes, c’est toutefois le même mécanisme de comparaison des attributs qui est à l’origine.

Suite aux travaux de Medin et al., Hunt (2006) propose que pendant l’encodage, deux types d’informations distinctes soient encodés : une information liée à chaque stimulus, une information relative aux similarités des items entre eux. Les performances de rappel libre seraient donc proportionnelles à la différence entre les attributs de l’item isolé et les attributs communs des autres exemplaires.

Nous verrons par la suite, que ces facteurs sont également importants pour expliquer les effets de distinctivité dans des tâches implicites.