1.3.1.3. Neurosciences du phénomène de distinctivité en mémoire : étude du P300

La plupart des études conduites en électrophysiologie ont étudié la distinctivité à l’aide de l’électroencéphalographie (EEG)2. Dans les expériences de mémoire à long terme utilisant la présentation d’items rares et/ou isolés l’implication du P300 et de la MMN (mismatch negativity – « négativité de discordance » en français) a souvent été étudiée. Dans cette partie, nous allons uniquement présenter les études qui étudient les effets de distinctivité à l’aide d’un paradigme appelé oddball, lequel est le plus proche des situations que nous utiliserons par la suite. Le paradigme d’oddball (« stimulus discordant » en français) consiste à présenter un stimulus déviant ou rare pendant la présentation d’une série de stimuli répétés qui présentent les mêmes caractéristiques physiques. L’ensemble des travaux présentés ont été conduits avec un item isolé ou avec des items rares versus fréquents.

Le MMN est un composant du potentiel évoqué généré principalement par le cortex auditif obtenu par un paradigme d’oddball (Näätänen, 1985, 1986 ; Gratton, Fabiani, Googman-Wood, & DeSoto , 1998). En effet, le MMN est obtenu par la soustraction des ondes correspondant aux stimuli répétés et celles des stimuli déviants. La MMN est générée quelle que soit la nature de la déviance du son rare par rapport au son standard. En fait, elle est générée par tout changement sonore discriminable dans un environnement de stimulation répétitive. La MMN survient de façon largement automatique, quelle que soit la focalisation de l’attention du sujet. Selon Fabiani (2006) aussi, contrairement au P300, le MMN peut être obtenu par n’importe quels stimuli déviant perçu sans engagement particulier de l’attention, comme c’est le cas pendant l’écoute passive des sons.

Un autre composant du potentiel évoqué impliqué dans l’effet de distinctivité primaire, le P300, a été décrit pour la première fois par Sutton, Braren, Zubin et John (1965). Ce signal présente une déflection positive sur une échelle sinusoïdale qui dure approximativement 300 ms qui a donné son nom à ce composant. Il s’agit d’un potentiel évoqué endogène qui est produit par les caractéristiques de la tâche, c’est-à-dire qui reflète l’attitude du sujet relatif à la tâche. Ce composant est observé dans des tâches qui impliquent le jugement et la décision ainsi que dans toutes les autres tâches dans lesquelles il est attendu de la part des participants d’émettre une réponse à un stimulus particulier. P300 présente une amplitude inversement proportionnelle à la probabilité d’occurrence d’un stimulus rare dans une série de stimuli homogènes (Duncan-Johnson & Donchin, 1977).

La différence de P300 est que contrairement au MMN, il n’est obtenu qu’à partir du moment où le sujet sait ou se rend compte de l’existence d’items se différenciant du reste des stimuli de l’expérience, quelle que soit la modalité sensorielle de ces stimuli. Dans une expérience d’oddball, d’amples ondes P300 sont obtenues à la place de MMN, dès lors qu’on demande au sujet de compter ou de désigner les stimuli rares contrairement aux stimuli homogènes qui fait émerger des ondes moins amples de P300. Selon Donchin et Coles (1988), cette onde représenterait la « mise à jour » des schémas internes à la suite de la présentation d’une nouvelle information (context updating). Quand un événement attendu et imprévisible se produit dans l’environnement, il est évalué par une unité de traitement qui le compare aux données stockées en mémoire. Cela entraîne un codage particulier de cet événement pour le rendre différent des autres et a conséquence de faciliter son rappel. De ce fait, Fabiani, Gratton, Chiarenza et Donchin, (1990) ; Fabiani, Karis et Donchin, (1986, 1990) ; Fabiani et Donchin, (1995) ; Karis, Fabiani et Donchin, (1984) ; ont tous émis l’hypothèse qu’il existe un lien intime entre le P300 et l’effet de distinctivité primaire (selon les termes de Schmidt). Ces auteurs postulent que l’amplitude du P300 va clairement distinguer les stimuli rares, déviants, isolés, hétérogènes qui donneront naissance à d’amples ondes de P300 alors que les stimuli fréquents, réguliers et homogènes donneront naissance à d’ondes faibles amplitude P300. Par ailleurs, ces auteurs postulent que la variabilité des ondes P300 pour chaque stimulus obtenu avec les items isolés prédit le rappel de ces derniers. En autres termes, les performances de rappel des items qui ont provoqué des amples ondes P300 pendant l’encodage seront supérieures à ceux qui ont provoqué des petites ondes de P300. Suite à des expériences, Fabiani et al., (1995) ont suggéré; en précisant que le taux de rappel est proportionnel à l’amplitude des ondes P300 pour les stimuli rares dans une expérience d’oddball.

Il apparaît clairement que l’onde P300 est une composante explicite de l’effet de distinctivité. En effet, cette onde est obtenue lorsque le sujet se rend compte de l’existence d’items se différenciant du reste des stimuli de l’expérience, indépendamment des modalités sensorielles. En revanche, le MMN est une composante qui reste liée à la mémoire sensorielle décrit par Cowan (1988) qui apparaît automatiquement sans l’engagement attentionnel du sujet. Le MMN reste dépendant particulièrement de la modalité auditive.

L’une des études princeps qui a donné l’inspiration aux travaux de Fabiani et al., est celle de Karis et al., 1984. Dans cette étude, ils ont enregistré les potentiels évoqués par la lecture de mots à apprendre par coeur lors d’une phase d’apprentissage. Dans ce matériel, la plupart des mots étaient écrits dans une police de grande taille (majoritaire) et quelques mots seulement étaient présentés dans une police particulièrement petite mais qui permettait néanmoins de lire les mots (isolés). Suite à cette phase, une tâche de rappel libre était proposée. Les auteurs mettent en évidence que les mots isolés ayant généré une onde P300 de forte amplitude lors de leur encodage étaient ceux qui étaient par la suite les mieux rappelés, ce qui confirme les données classiquement obtenues dans un paradigme de type von Restorff.

Fabiani et al., critiquent le fait que les sujets aient reçu des consignes explicites relatives à la tâche de rappel libre de Karis et al., et postulent que même dans un cas où l’apprentissage serait incident, des ondes P300 amples prédiraient quand même un meilleur rappel des items isolés. Pour tester cette hypothèse, ils ont soumis les participants à un paradigme d’isolation dans lequel des prénoms masculins et féminins ont été utilisés. Les prénoms d’un genre constituaient le contexte rare (1 occurrence sur 5). La tâche incidente qui ne permettait pas de mettre en place des stratégies relatives à la mémorisation était de compter l’ensemble des stimuli présentés. Cependant, à la fin de l’expérience, il était demandé aux sujets de restituer un maximum de prénoms. Conformément aux hypothèses, ils ont réussi à mettre en évidence que les amples ondes enregistrées pendant la phase apprentissage incident pour les prénoms isolés correspondent aux prénoms qui présentent un meilleur taux de rappel.

Pour montrer que cette corrélation entre P300 et le rappel des items isolés est exclusivement réservée à des tâches où la consigne relative à la mémorisation est explicite, Fabiani et al., ont présenté un travail en inter-sujet dans lequel un seul groupe de participants était explicitement informé de la présence d’un rappel. Ils ont mis en évidence que la corrélation positive entre l’apparition des ondes P300 et rappel des items isolés est obtenue uniquement lorsque les sujets étaient informés pendant l’encodage que les mots devraient être rappelés.

Notes
2.

EEG : L’électro-encéphalographie est la mesure de l’activité électrique du cerveau en appliquant des électrodes sur le cuir chevelu. Le tracé résultant est appelé électro-encéphalogramme (EEG).