1.4. Synthèse

Au vu des travaux présentés plus haut, il apparaît clairement que :

En conclusion, l’ensemble des études conduites sur cette question proposent que l’effet de distinctivité peut se manifester avec des tâches explicites (ou directes) de la mémoire. Par ailleurs, une très grande majorité des études sur l’effet de distinctivité a toujours étudié cet effet en rappel libre. Certains auteurs ont même proposé que l’effet de distinctivité ne peut, en aucun cas, se manifester avec une tâche implicite. Un de nos principaux objectifs est de montrer de cet effet de distinctivité n’est pas spécifique au rappel, ni même aux tâches explicites.

En effet, il ressort des études déjà évoquées que l’effet de distinctivité provient du contraste (pas forcément perceptif comme nous le montrerons dans nos expériences) entre un item donné et l’ensemble des informations (cibles ou contextuelles) proches spatialement et/ou temporellement de cet item. Ainsi, l’hypothèse que cet effet peut également apparaître en implicite suppose que l’on admette que l’information contextuelle peut également jouer un rôle non négligeable en récupération implicite. Cette idée est encore loin d’être admise dans toutes les approches de la mémoire. Elle est admise dans les modèles dits non abstractifs ou système unique de mémoire (Hintzman, 1986 ; Nosofsky, 1988 ; Logan 1988), mais elle l’est beaucoup moins dans les modèles abstractifs ou multi-systèmes (Squire, 1992 ; Tulving, 1995 ; Collins & Quillian, 1969 ; Collins & Loftus ; 1975, Anderson, 1983). Ainsi, il nous semble indispensable, pour mieux comprendre les effets d’isolation ou de distinctivité, de se situer dans un cadre théorique spécifique de la mémoire humaine. En effet, la question évoquée plus haut rejoint en fait les études conduites sur la dépendance des informations sémantiques au contexte et donc pose la question de la définition même des connaissances dites sémantiques.

Sur ce sujet, les modèles abstractifs et non abstractifs émettent des hypothèses différentes. En effet, les modèles abstractifs (ou multi-systèmes) prévoient l’existence de différents systèmes de mémoire jouant des rôles spécifiques, à des étapes différentes du traitement, souvent en fonction de la nature de l’information impliquée. Les informations spécifiques à une expérience donnée, donc nous le verrons rattachées à des dimensions sensori-motrices et à des informations contextuelle, et les informations conceptuelles sont considérées comme étant stockées dans des systèmes de mémoire distincts. Le passage entre des informations contextualisées et des informations acontextualisés, dites amodales, ou abstractive, ou symbolique, se fait par un mécanisme d’abstraction défini comme « un mécanisme qui permet un encodage structural d’un concept, en le débarrassant des attributs non-pertinents inhérents à l’événement vécu et pouvant être considérés comme du bruit » (Collins & Quillian, 1969 ; Palmeri & Nosofsky, 2001 ; Rousset, 2000).

Cette différenciation de systèmes rattachées à des informations de nature différente explique probablement pourquoi l’approche abstractive permet beaucoup plus difficilement de rendre compte de l’implication des informations sensori-motrices et des informations contextuelles dans la récupération des informations conceptuelles, puisque ces dernières sont décrites sous une forme amodale. Ainsi, dans cette perspective multi-systèmes de la mémoire, les effets de distinctivité doivent logiquement être réservés à la récupération (le plus souvent explicite) de connaissances spécifiques (épisodiques) et non à la récupération (le plus souvent implicite) de connaissances conceptuelles.

En revanche, l’idée de proposer un seul système de mémoire qui code l’ensemble des événements vécus par l’homme est en accord avec l’idée que le format des informations stockées serait unique et qu’il serait à la base de n’importe quelle forme de récupération (explicite ou non par exemple). Dans ce cas, il n’y aucune raison, a priori, pour que les effets de distinctivité soient réservés à une forme de récupération plus explicite.

C’est pourquoi, dans le deuxième chapitre théorique de cette thèse, nous présenterons brièvement les modèles abstractifs de la mémoire en essayant de voir comment l’effet de distinctivité est abordée dans cette optique, puis nous évoquerons les rares études qui ont étudié l’effet de distinctivité dans des tâches implicites en essayant de voir pourquoi certains auteurs postulent que cet effet ne peut pas se manifester avec les tâches implicites de mémoire (Smith & Hunt, 2000 ; Weldon & Coyote, 1996). Cette dernière partie nous permettra de justifier la nécessité de se situer dans une autre approche de la mémoire pour expliquer l’observation des effets de distinctivité dans des tâches non explicites.