2.4.2. Tentatives réussies de l’observation de l’effet de distinctivité avec une tâche implicite

Récemment la littérature a cependant vu émerger quelques expériences qui ont réussi à observer un effet de distinctivité avec une tâche implicite (Geraci & Rajaram, 2004 ; Srinivas, Culp, & Rajaram, 2000, Oker et al., in press, présenté dans la deuxième série d’expérience de cette thèse). Dans cette partie, nous allons nous intéresser particulièrement à ces recherches et à leurs conclusions.

En 2000, Srinivas, Culp, & Rajaram avaient déjà réalisé une étude qui démontrait la possibilité d’observer un effet de distinctivité avec une tâche implicite de nature conceptuelle. Dans cette expérience pendant la phase d’apprentissage, les sujets voyaient les images d’une scène dans laquelle figurait un item congruent et un autre non-congruent avec la situation évoquée par la scène. Par exemple, dans l’image qui représentait un restaurant, il était possible de voir à la fois une serviette (item congrue) et un ordinateur (item incongrue) sur une table. Pendant la présentation, les sujets entendaient également un énoncé qui mentionnait les items congrus et incongrus sans les nommer (« Un étudiant prépare sa dissertation pour le lendemain »). Pendant la phase test, les sujets exécutaient soit une tâche de reconnaissance soit une tâche de vérification catégorielle. Pour la tâche de reconnaissance, les sujets devaient utiliser les touches prévues à cet effet pour indiquer s’ils avaient vu ou pas vu l’item présenté à l’écran pendant la phase d’apprentissage. La tâche de vérification catégorielle consistait à lire sur l’écran une question (« qu’est-ce qu’on retrouve dans un restaurant ?») et les mots étaient présentés chacun à leur tour en-dessous de la question. Ces mots étaient des items étudiés ou non étudiés pendant la phase d’apprentissage, congrus ou non. Ensuite, les sujets devaient classer ces mots présentés sur l’écran en tant que congruent et non congruent avec la scène proposée. Les temps de réactions étaient comparés pour les items incongrus vus pendant la phase d’apprentissage versus les items incongrus non vus.

Pour la tâche de reconnaissance, les résultats indiquent clairement de meilleures performances pour les items incongrus que pour les items congrus respectant ainsi le pattern des résultats relatifs à l’effet de distinctivité. Plus intéressant encore, les auteurs arrivent à mettre en évidence cet effet avec la tâche de vérification catégorielle. Selon les auteurs, ces résultats prouvent qu’il existe un développement rapide des nouvelles associations conceptuelles en mémoire implicite. Les sujets avaient à apprendre à associer un item incongrus avec son contexte de présentation et de ce fait étaient plus lents à le rejeter comme un exemplaire de sa catégorie. Ces résultats montrent clairement qu’un amorçage conceptuel pour les items incongrus peut être obtenu.

La question que l’on peut donc se poser ici est celle de savoir pourquoi Geraci et Rajaram (2002) n’ont pas réussi à obtenir un effet de distinctivité avec une tâche de mémoire implicite alors que Srinivas et al., (2000) ont mis en évidence cet effet ?

Pour répondre à cette question, dans un article encore plus récent, Geraci et Rajaram (2004) comparent les deux matériels et les tâches implicites utilisées dans les deux études. Dans un cas de figure, il s’agit d’une distinctivité orthographique et d’une tâche de complétion des trigrammes, dans l’autre cas de la présence ou non d’incongruence sémantique dans des scènes visuelles, et d’un paradigme d’amorçage. Les auteurs en concluent que la distinctivité orthographique peut impliquer un traitement conceptuel alors que la tâche de complétion des trigrammes ne récapitule pas ce même processus de haut niveau mais plutôt un processus perceptuel de bas niveau. Tandis que dans l’expérience de Srinivas et al., (2000) il existe une parfaite concordance entre le matériel conceptuel pendant la phase d’apprentissage et la tâche implicite conceptuelle qui le teste. Geraci et Rajaram postulent donc que l’effet de distinctivité peut être obtenu par les tâches implicites de la mémoire si la phase test récapitule le processus conceptuel mis en place.

L’idée de Geraci et Rajaram s’inspire donc de la théorie de la concordance des traitements (Roediger, 1990 ; Roediger, Srinivas, & Weldon, 1989) que nous avons présenté plus haut. En accord avec cette théorie, Geraci et Rajaram (2004) ont proposé une nouvelle expérience en inter-sujets dans laquelle l’hypothèse était que l’on pouvait trouver un effet de distinctivité avec une tâche implicite de la mémoire en impliquant les mêmes processus évaluatifs en encodage et en test. Pour ce faire, elles ont utilisé un paradigme classique d’isolation dans lequel deux listes étaient présentées aux participants. Les sujets étudiaient cette liste d’isolation dans laquelle un item était isolé par son appartenance catégorielle. Ce mot isolé apparaissait parmi d’autres mots (le mot « table » parmi les mots tels « saumon, thon, rouget, cabillaud ») et une autre liste dans laquelle aucun des mots n’était isolé. Dans la phase test, les sujets recevaient une tâche de vérification catégorielle, mais selon deux modalités : explicite ou implicite. Dans la tâche de vérification catégorielle qu’elles ont appelé implicite, les participants recevaient le nom d’une catégorie (e.g., poisson) et avaient à choisir si le mot « table » faisait partie de cette catégorie ou pas (quelle que soit la modalité de présentation du mot « table » isolé ou non, la réponse est toujours non). Dans la tâche de vérification catégorielle explicite, les sujets recevaient les mêmes noms de catégories, mais avaient à reconnaître si la cible avait été vue dans la phase d’encodage ou pas.

Pour ce qui est des résultats de la tâche explicite, elles obtiennent un effet classique de distinctivité : les items isolés ont été reconnus plus rapidement que les items non isolés. Pour la tâche de vérification catégorielle implicite, elles obtiennent un meilleur amorçage pour les items isolés que pour les items non isolés. Elles ont confirmé que le fait de refuser l’adhésion d’un exemplaire à une catégorie pour les items isolés a été plus rapide que les items non isolés. De ce fait, elles réussissent à trouver cet effet avec une tâche de vérification catégorielle.

Dans une deuxième expérience, Geraci et Rajaram ont voulu tester leur hypothèse de base en utilisant une deuxième tâche implicite qui ne nécessiterait pas les mêmes processus évaluatifs en encodage et en test. Ils ont choisi une tâche de production d’exemplaires. Cette tâche consistait à donner le nom d’une catégorie et à demander de marquer sur une feuille tous les exemplaires possibles et imaginables. Les expérimentateurs présentaient cette phase comme s’il s’agissait d’une nouvelle expérience sans lien avec la précédente. La question était de savoir si les anciens items isolés qui avaient permis de mettre en place un processus évaluatif pendant la phase d’apprentissage seraient nommés ou non. Effectivement, les expérimentateurs n’ont pas observé d’effet de distinctivité avec cette tâche implicite qui selon eux ne récapitule pas le même processus évaluatif que la phase d’apprentissage. Leur interprétation était de dire que l’effet de distinctivité peut émerger avec une tâche implicite de mémoire uniquement quand il existe une répétition du processus évaluatif entre la phase d’apprentissage et la phase test.

Cependant, cette interprétation donne l’impression que dans les tests explicites, c’est la recollection consciente qui détermine l’occurrence de l’effet de distinctivité et en même temps, pour ce qui est des tests implicites, c’est la répétition du type de processus entre la phase d’apprentissage et le test qui détermine l’occurrence de l’effet de distinctivité. Une question tout à fait légitime ici est de demander pourquoi la répétition du type de processus serait la seule explication ou la solution pour trouver l’effet de distinctivité avec une tâche implicite de mémoire. Une autre question est de savoir si nous ne pouvons pas proposer une autre manipulation expérimentale pour relever ce défi ?