3.1.1. Les modèles à traces multiples

Les modèles à traces multiples postulent qu’il n’existe qu’un seul type de mémoire à long-terme conservant une trace de toutes les expériences auxquelles l’individu est confronté (pour une revue, voir Versace, Nevers, Padovan, 2002, ou Carbonnel, 2000 pour l’intérêt de ces modèles au niveau neuropsychologique). La trace se caractérise par deux propriétés essentielles : elle est épisodique car elle code les caractéristiques de l’épisode de traitement dans lequel elle s’est constituée ; elle est multidimensionnelle car elle reflète les multiples propriétés des épisodes. Dans cette perspective, la mémoire à long terme est considérée comme une accumulation de traces de cette nature. La récupération de toute forme de connaissance est décrite comme une émergence de l’activation de multiples traces. Comme dans les modèles d’exemplaires, l’activation des traces dépend de la similarité entre l’objet cible et chacune des traces. Selon les modèles, les traces et les mécanismes d’activation et d’émergence de connaissances sont définis différemment. Nous évoquerons les deux modèles les plus représentatifs des modèles à traces multiples, tout d’abord celui de Hintzman (1986 ; 1988), puis celui de Whittlesea (1987, mais voir aussi par exemple Logan, 1988).

Le modèle proposé par Hintzman (1986, 1988), MINERVA II, décrit la mémoire à long terme sous la forme d’un système unitaire dédié à la conservation d’informations épisodiques sous la forme de traces. Une trace résulte d’un traitement dynamique de l’information. Le postulat central de ce modèle admet que l’encodage d’un événement auquel un individu est attentif permet l’émergence d’une trace mnésique spécifique. Selon les termes de Hintzman, chaque trace est représentée par un vecteur indiquant la valeur prise par chaque capteur sensori-moteur lors d’une interaction avec l’environnement. Ces valeurs peuvent être 0,1 ou -1. La valeur 0 indique que la dimension est neutre dans l’événement en question, les valeurs 1 et -1 représentent un logique excitateur ou inhibiteur comme la figure ci-dessous représente :

Figure 8. Le modèle à traces multiples MINERVA II de Hintzman (1986)
Figure 8. Le modèle à traces multiples MINERVA II de Hintzman (1986)

Chaque trait d'une trace est encodé indépendamment avec une probabilité « L » qui s'élève avec le temps de présentation ou avec le nombre de répétitions de l'information. C'est au moment de la récupération qu'une représentation « émerge ». Un stimulus (la sonde) est censé activer toutes les traces en mémoire, proportionnellement à leur similarité avec la sonde. L’activation d’une trace dépend donc des propriétés qu’elle partage avec la sonde. En outre, l’activation se propage non seulement de manière ascendante entre les traces, mais aussi horizontalement entre les différentes propriétés des traces. Ces activations conduisent à la formation de ce que Hintzman appelle l’écho. Cet écho représente une ré-création du système de mémoire. Suite au calcul des similarités entre la sonde et les traces mnésiques, l’écho sera composé des caractéristiques communes à ces différentes traces, alors que les entités discordantes entre ces traces auront tendance à s’annuler. De ce fait, il serait possible de récupérer une information conceptuelle sans se souvenir des caractéristiques de chaque épisode de rencontre (Rousset, 2000).

Ainsi, dans le modèle MINERVA 2 (Hintzman 1986), il n'est pas nécessaire de distinguer un système mnésique sémantique d’un système mnésique épisodique, puisque l'information sémantique est reconstruite à partir d'une mémoire de stockage totalement épisodique. Les représentations conceptuelles, ou sémantiques, émergent de multiples traces épisodiques. En outre, ce modèle permet de rendre compte des effets de contexte sur la récupération d’épisodes, si l’on admet que le contexte est codé dans la trace. Mais il prédit aussi que les représentations abstraites peuvent également être dépendantes du contexte.

En 1987, Whittlesea propose également un modèle de mémoire purement épisodique à traces multiples basé sur les mêmes grands principes que ceux de Minerva. La particularité du modèle de Whittlesea (1987) réside dans l’idée selon laquelle la nature de la trace dépend étroitement des traitements accomplis sur les stimuli. Selon Whittlesea, une des caractéristiques importantes des traitements est le degré avec lequel les composants, ou dimensions, des stimuli sont intégrés. Les différents composants peuvent être traités globalement, ou au contraire indépendamment les uns des autres. Le degré d’intégration est supposé dépendre de mécanismes attentionnels : selon la tâche, l’attention peut se porter plus spécifiquement sur certaines dimensions et les traiter ainsi séparément des autres, ou bien au contraire permettre une intégration des différentes dimensions. Ainsi la trace reflète le degré avec lequel les composantes sont intégrées au moment de l’encodage. Il est donc plus ou moins possible de récupérer les composantes d’une trace indépendamment les uns des autres.