3.3. Synthèse 

Les modèles purement épisodiques postulent que le sens émergerait de l’activation d’une multitude de traces mnésiques qui codent l’ensemble des expériences vécues par l’homme. Nous avons aussi souligné que dans ces modèles, une connaissance catégorielle ou sémantique est issue de multiples traces antérieures alors qu’une connaissance de type souvenir correspondrait à un état d’activation très proche d’un état antérieur spécifique. Par ailleurs, toujours selon ces modèles, les dimensions sensori-motrices font partie des primitives (selon la terminologie d’Hintzman) encodées au sein d’une trace (cet aspect sera plus développé dans la fin de ce chapitre), et la trace reflète également toutes les informations contextuelles ou situationnelles en lien avec l’expérience. De ce fait, il est tout simplement logique de proposer que si les connaissances sont fortement rattachées à des expériences épisodiques, ce ne sont pas seulement les informations relatives aux dimensions sensorielles des cibles qui sont récupérées mais également l’ensemble des dimensions et des propriétés des situations ainsi que le contexte dans lesquelles ces cibles ont, un moment donné, été vues ou étudiées. Si les connaissances sont fortement rattachées à des expériences, comme les modèles purement épisodiques le suggèrent, nous serions capables d’abstraire des connaissances de nature sémantique, à partir de l’activation d’un grand nombre de traces en lien avec l’épisode. La mémoire, étant fondamentalement de nature épisodique, l’accès à un état de mémoire est toujours contextualisé. Les représentations sémantiques ne sont pas stockées dans un système particulier de la mémoire, mais résultent de l’interaction entre les traces déjà stockées et les connaissances présentes lors de la récupération. De ce fait, le sens émerge des règles épisodiques de la mémoire. Un concept peut être abstrait de la mémoire à partir d’un grand nombre de traces similaires.

L’explication de l’effet de distinctivité avec les modèles à traces multiples repose sur l’idée selon laquelle l’écho pourrait représenter l’isolation d’un groupe de stimuli. Si les composants sensorimoteurs font partie des traces mnésiques, alors l’isolation d’un groupe de stimuli sur une ou plusieurs de ces dimensions doit avoir un poids relativement important au sein de l’écho et de ce fait rendre les traces ainsi isolées plus discriminables. En plus, dans le cas de la tâche de catégorisation, si le sens émerge à partir d’un grand nombre de traces, un contexte par exemple visuel, utilisé pour rendre un groupe de stimuli plus isolés, doit aussi faire partie des traces puisque les connaissances catégorielles sont ici considérées comme résultants d’expériences sensori-motrices.

Cependant, la simple activation d’un nombre plus ou moins important de traces plus ou moins spécifiques n’est certainement pas suffisante pour expliquer les résultats de la littérature. Nous nous placerons dans cette thèse dans le cadre d’un modèle inspiré des modèles à traces multiples proposé par Versace et al., (2002, 2009) qui évoque la question de l’activation des traces, mais qui insiste davantage sur la notion d’intégration des dimensions sensorielles au sein des traces et entre les traces. Cette notion d’intégration inter et intra traces est au cœur de notre problématique car nous soutenons que celle-ci est capable d’expliquer l’effet de distinctivité quelle que soit la nature de la tâche utilisé pour tester la mémoire à long terme. La contribution théorique de cette thèse repose donc sur la notion des traces épisodiques, distribués et multidimensionnelles et plus particulièrement sur l’intégration inter et intra trace que nous allons étudier maintenant plus amplement.