3.4.1. Des connaissances situationnelles et fonctionnelles : activation de dimensions sensori-motrices

De plus en plus d’études en neurosciences cognitives font état de l’existence de composantes sensorielles, motrices et émotionnelles issues de nos expériences stockés au sein des traces mnésiques.

Par exemple, dans une étude conduite avec la technique TEP, Martin, Wiggs, Ungerleider et Haxby (1996) ont montré que l’identification de dessins d’animaux ou d’outils était associée à des activations dans de nombreuses aires, dont des aires impliquées dans la perception visuelle précoce pour les premiers et le cortex prémoteur pour les seconds (voir aussi Rösler, Heil, & Henninghausen, 1995).

En 2003, Tyler, Stamatakis, Dick, Bright, Fletcher et Moss ont mis en évidence, en utilisant l’IRMf, que des noms d'objets et les actions qui leur sont associées activent des zones neuronales similaires.. Avec la même technique, Vaidya, Zhao, Desmond et Gabrieli (2002) ont constaté que la reconnaissance de noms d'objets préalablement encodés à partir de l'image qui leur correspond active les mêmes aires visuelles que celles activées lors de l'encodage (comparativement à la reconnaissance de mots encodés sous leur forme verbale).

Gottfried, Smith, Rugg et Dolan (2004) ont, dans une phase d'encodage, présenté des objets dont certains étaient associés d'une manière arbitraire à des odeurs, les participants devant imaginer un éventuel lien entre les deux. Les participants ont ensuite été testés dans une épreuve de reconnaissance d'objets présentés sans odeur. Des enregistrements en IRM fonctionnelle ont montré une activation du cortex piriforme (aire primaire olfactive) uniquement lors de la présentation des objets qui lors de l'encodage avaient été associés à une odeur.

Notre objectif, en présentant ces études représentatives du domaine, est de souligner le fait que les représentations conceptuelles émergeraient à partir de l’activation des systèmes neuronaux typiquement associés aux mécanismes perceptifs et moteurs (pour une revue voir Slotnick, 2004). D’autres études (Farah, 1995 ; Jeannerod, 2001) proposent que ces mêmes structures neuronales seraient impliquées lorsque l’individu s’imagine mentalement être dans ces situations. Ainsi, les systèmes neuronaux qui sont impliqués dans des activités de type imagerie mentale et dans les mécanismes sensori-moteurs sont également les systèmes dont l’activation permet l’émergence des informations conceptuelles.

Puisque les modèles non abstractifs permettent d’expliquer l’implication des expériences sensori-moteurs dans l’émergence des connaissances catégorielles, de plus en plus de travaux en psychologie cognitive mettent également en évidence la nature perceptive des concepts et illustrent ce que l’on appelle la nature situationnelle (l’émergence d’une connaissance dépend à la fois de la situation d’encodage et de la situation de récupération) ou fonctionnelle (une connaissance est issue du fonctionnement cognitif et donc dépend des traitements mobilisés) des connaissances.

Les travaux de Barsalou (1993, 1999 ; Yeh et Barsalou, 2001) sont souvent considérés comme les plus représentatifs dans ce domaine. Barsalou et ses collaborateurs se sont particulièrement intéressés à la nature perceptive des concepts en utilisant des tâches de production ou de vérification de propriétés associées à des concepts (Solomon et Barsalou, 2001 ; Wu & Barsalou, 2001). Selon eux, pour générer ou vérifier une propriété (par exemple crinière) associée à un concept (cheval), l’individu simulerait mentalement la présence de l’objet et rechercherait la propriété en question, exactement comme il pourrait le faire dans son environnement. Ils ont aisni constaté que des sujets à qui l’on ne donne aucune consigne particulière, si ce n’est de générer des propriétés à partir d’un concept donné, produisent les mêmes réponses que des sujets ayant la consigne d’utiliser pour cela l’imagerie mentale.

Une autre étude intéressante est celle de Rubinstein et Henik (2002) qui ont étudié les effets de congruence entre propriétés perceptives et mnésiques en partant de l’idée qu’un seul système gère les connaissances sémantiques et la perception. Ils ont présenté des pairs de noms d'animaux qui différaient selon leur taille physique (des tailles différentes de la police de caractères) et/ou selon leur taille réelle (mnésique). La tâche des participants était de juger lequel des deux mots ou animaux était le plus grand, soit selon la taille physique soit selon la taille mnésique. Dans une condition neutre, seule la dimension pertinente différait (ex. lion/fourmi ou lion/lion). Dans une condition de congruence le mot écrit avec les caractères les plus grands désignait le plus grand des animaux (lion/fourmi). Enfin dans une condition d'incongruence, la taille physique et la taille mnésique ne correspondaient plus (lion/fourmi). Les résultats montrent des effets de congruence et d'interférence sur les deux types de jugements (sur la taille physique et sur la taille mnésique.

Limportance des composants sensorimoteurs a également été testée avec des mots par Zwaan et ses collaborateur (Zwaan, Stanfield, & Yuxley, 2002 ; Zwaan & Yaxley, 2003 ; Zwaan, Madden, Yaxley, & Aveyard, 2004). Par exemple, Zwaan, Stanfield et Yuxley (2002) ont demandé aux participants de lire les phrases qui évoquent un objet ou un animal dans une certaine position comme « aigle dans le ciel » ou « aigle dans son nid », la forme de l'objet ou de l'animal étant différente selon sa position. Après avoir lu ces phrases, le dessin d'un objet ou d'un animal était présenté et les participants devaient indiquer si cet objet/animal avait été mentionné dans la phrase (expérience 1) ou simplement nommer l'objet/animal (expérience 2). Dans les deux expériences, les participants ont répondu plus rapidement lorsque la forme de l’objet dessiné correspondait à la forme de l’objet dans la phrase (aigle avec les ailes déployées ou non). Ces résultats suggèrent que la compréhension de phrases nécessite l’utilisation des simulations perceptives. La congruence ou non de ces simulations perceptives avec la phrase influence la réponse des sujets dans la tâche de vérification d’objets ou de dénomination.

Dans une autre étude, Zwaan et Yaxley (2003) ont présenté des couples de mots faisant référence à des parties d’un objet typiquement disposé soit dans la partie haute soit dans la partie basse de l'objet (feu/ bougie ; nez/ bouche etc…). Les mots étaient disposés sur l’écran soit dans une position congruente soit dans une position incongruente avec les positions relatives habituelles. La tâche des sujets consistait à juger le plus rapidement possible si les deux mots étaient sémantiquement reliés ou pas. Les résultats ont montré un effet de congruence entre la position des mots sur l'écran et la position habituelle des parties d'objet.