3.6. Problématique et la distinctivité selon les modèles à traces multiples : L’intrigue

Finalement, l’ensemble des auteurs qui décrivent la mémoire comme étant entièrement épisodique soulignent que l’encodage concerne non seulement les propriétés sensori-motrices des objets à traiter mais aussi l’ensemble des informations présentes autour de ces derniers. Par conséquent, bien qu’elles puissent être jugées non pertinentes, ces informations relatives au contexte ou à la situation en général dans laquelle un événement ou un objet a été traité font partie des traces mnésiques. La plupart des travaux présentés dans ce chapitre montrent bien le caractère dépendant au contexte des informations dites catégorielles. Prenons par exemple le cas de l’étude Zwaan et Yaxley (2003). Ces auteurs ont présenté des paires de mots désignant différentes parties d’un objet situées normalement dans la partie supérieure ou inférieure de l’objet (feu/bougie ; nez/bouche etc…). Les mots eux-mêmes étaient présentés l’uns au dessus de l’autre. Les résultats ont montré, dans une tâche de jugement de relation sémantique, un effet de congruence entre la position du mot sur l’écran et la position habituelle des parties des objets. Même si nous ne pouvons pas véritablement parler de contexte à propos des parties des objets, néanmoins la position des mots n’étant pas pertinente à la réalisation de la tâche peut-être considérée ici comme une propriété situationnelle. On voit qu’elle intervient au moment de la récupération de la cible. Si les informations conceptuelles étaient organisées dans des réseaux sémantiques comme l’ont proposé Collins et Quillian (1969) ou bien Collins et Loftus (1975), il n’y aurait aucune raison pour répondre plus rapidement quand le mot « nez » est présenté au-dessus du mot « bouche » plutôt que l’inverse.

Étant donné que la mémoire est par définition censée contenir des traces totalement rattachées aux expériences dans lesquelles elles se sont élaborées, les connaissances sont donc toujours situationnelles. De ce fait, pendant une tâche de catégorisation, l’isolation de certains items devrait jouer un rôle car tout encodage en mémoire inclut les informations inhérentes au stimulus mais aussi des informations contextuelles relatives à l'environnement. Si on suppose donc que les connaissances conceptuelles reposent elles-mêmes sur la réactivation de traces épisodiques, l’isolation des stimuli joue également un rôle très important dans la mémorisation et dans la récupération de connaissances plus conceptuelles.

Ainsi, dans la première série de nos expériences (expériences 1 à 3), notre objectif principal sera de démontrer que l’effet de distinctivité peut se manifester avec une tâche implicite de mémoire. L’objectif sous-jacent sera de rendre compte de cet effet sans manipuler les propriétés physiques de l’item mais en manipulant l’information contextuelle associée à l’item. À nos yeux, le fait de rendre certains items plus distincts des autres en manipulant son contexte d’élaboration est l’un des moyens pour rendre une trace plus discriminable des autres traces. Dans cette première série d’expérience, nous avons utilisé un contexte extrinsèque pour isoler un group de stimuli. Il s’agit des cadres colorés qui s’affichaient avec les mots à catégoriser. La distinctivité s’opérait selon le nombre des cadres colorés, c’est-à-dire qu’un quart des mots était isolés selon une couleur en constituant le contexte rare. Notre paradigme ne nécessitant pas des efforts intentionnels de recollections, nous supposons que ces derniers ne sont pas réquis pour l’obtention de l’effet de distinctivité en catégorisation contrairement à ce qui a été soutenu par Weldon et Coyote (1996).

Dans la deuxième série d’expériences (expériences 4 et 5), l’objectif sera de proposer une hypothèse de distinctivité spatiale (Oker, Versace & Ortiz, in press). En utilisant une analogie avec la perception visuelle (un item isolé est plus saillant perceptivement qu’un item non isolé), nous avons postulé que l'insertion d’un espacement entre des items à encoder répartis dans le champ visuel peut rendre un item plus distinctif spatialement et que cette distinctivité spatiale peut se manifester par de meilleures performances dans une tâche implicite de mémoire. L’objectif sous-jacent sera aussi de montrer que la réinjection du contexte d’apprentissage pendant la phase test n’est pas nécessaire pour l’émergence de l’effet de distinctivité, contrairement à ce qui est rapporté dans la littérature (Smith & Hunt, 2000). Cet effet peut être généré dès l’encodage en permettant un stockage de traces mnésiques plus discriminables.

La troisième série d’expériences (expériences 6 à 8) aura pour principal objectif de démontrer, qu’en accord avec les notions d’activation et d’intégration multimodales, il est possible de faire un lien entre le niveau de distinctivité d’une trace et son niveau d’accessibilité explicite (recollection). Ainsi la différenciation explicite/implicite serait ici un continuum lié au niveau de distinctivité et non pas une différenciation en termes de systèmes sous-jacents. Nous essaierons de mettre en évidence des effets de distinctivité variables selon différents niveaux d’intégration des dimensions sensorielles de notre matériel et donc de distinctivité : une distinctivité impliquant l’intégration de plusieurs composants, versus une distinctivité sur un seul des composants sensori-moteurs des items. Ces deux niveaux ont été testés en catégorisation, en rappel libre et en reconnaissance avec une mesure du degré de certitude des réponses.