1.4. Discussion de la 1° série d’expériences

Nous avons déjà dit que l’objectif de cette première série d’expériences était tout d’abord de montrer que l’effet de distinctivité pouvait être observé avec des tâches implicites de mémoire. Ceci est clairement démontré dans les expériences 2 et 3, dans lesquelles nous obtenons, dans la condition contexte identique, des réponses plus rapides pour les mots encodés dans un contexte rare que pour les mots encodés dans un contexte fréquent.

Le deuxième objectif était de montrer que l’on pouvait observer des effets de contexte dans des tâches implicites de mémoire. Là encore, les résultats des expériences 2 et 3 sont parfaitement clairs, et montrent une diminution des performances en cas de changement de contexte entre la phase d’encodage et la phase de test. Mais le plus intéressant a été de montrer que cet effet de contexte n’était observé que pour les mots encodés en contexte rare.

Ce qui rejoint le troisième objectif de cette 1° série d’expériences, qui était de montrer que l’on pouvait observer un effet de distinctivité en manipulant l’information contextuelle associée aux items en phase test. Les effets de distinctivité obtenus dans la condition contexte inchangé et les effets du changement de contexte uniquement en condition rare confirment totalement cette hypothèse.

Nous avons souligné à plusieurs reprise que l’effet de distinctivité était généralement considéré comme étant exclusivement réservé aux tâches explicites de mémoire. Pour Weldon et Coyote (1996), un apprentissage incident ne peut pas permettre une manifestation de l’effet de distinctivité. Notre phase d’apprentissage met clairement en place un apprentissage incident et non pas intentionnel. Elle a permis néanmoins d’observer un effet de distinctivité. Certains auteurs considèrent également que des consignes explicites de récupération pendant la phase test sont cruciales pour l'observation de l’effet de distinctivité. Par exemple pour Weldon et Coyote (1996) et pour Smith et Hunt (2000), les consignes explicites permettent le rétablissement du contexte initial, lequel est, selon eux, primordial pour l’apparition des effets de distinctivité. Là encore, aucune consigne de récupération explicite n’a été donnée dans nos expériences, ce qui ne nous a pas empêché d’obtenir des effets de distinctivité. Bien entendu, on peut toujours argumenter qu’il est particulièrement difficile de s’assurer qu’aucun type de « contamination » explicite n’a eu lieu pendant la réalisation de cette tâche. Effectivement, dans nos expériences, nous avons utilisé une tâche distractrice qui consistait à faire des calculs mathématiques entre les phases d’encodage et de test pour empêcher les sujets de répéter mentalement ou de garder en mémoire les relations entre les cadres colorés et les items. Cependant, on peut toujours soutenir qu’une récupération implicite n’est jamais « pure » (Nicolas, 2000).

D’une manière plus générale, la démonstration des effets de contexte et de distinctivité avec des tâches implicites de mémoire est très problématique pour la perspective structurale de la mémoire qui suppose que ces effets doivent typiquement être observés dans des tâches de mémoire épisodique, lesquelles nécessitent une « recollection » explicite mais pas dans des tâches de mémoire sémantique, qui impliquent des mécanismes de récupération beaucoup plus implicites. En revanche, ces résultats peuvent être considérés comme un argument fort en faveur des modèles épisodiques ou situationnels de la mémoire (e.g., Barsalou, 2005; Glenberg, 1997 ; Versace, Nevers, & Padovan, 2002; Versace, Labeye, Badard, & Rose, 2009; Whittlesea, 1987) dans lesquelles la mémoire est décrite comme un système unique qui accumule continuellement les traces des expériences spécifiques de l’individu.

Dans les modèles épisodiques de la mémoire, la récupération en mémoire de toute forme d’information à partir d’un stimulus, qu’elle soit explicite ou implicite, est décrite comme l’émergence d’une activation de toutes les traces en lien avec ce stimulus. De ce fait, le rétablissement du contexte d’encodage d’origine, et plus généralement de l’ensemble de l’épisode d’encodage, doit être une des caractéristiques des tests implicites de mémoire et pas seulement des tests explicites. Une autre conséquence de l’implication systématique des traces épisodiques est que les effets de contextes peuvent très bien être observés avec des tâches implicites. C’est pourquoi, dans le but de montrer à la fois des effets de contexte et des effets de distrinctivité dans une tâche implicite, nous avons dans ces premières expériences, choisi de manipuler la distinctivité de l’information contextuelle dans une tâche de catégorisation sémantique.

Il est néanmoins évident que les tâches “non-épisodiques” ne requièrent généralement pas d’une manière explicite l’utilisation de l’information contextuelle pour être efficaces, contrairement aux tâches “épisodiques” qui nécessitent la récupération d’une information encodée dans un contexte spécifique. Par ailleurs, la conception purement épisodique de la mémoire humaine propose que l’émergence des connaissances spécifiques résulte de la réactivation d’un nombre peu important de traces, contrairement aux connaissances plus générales ou conceptuelles qui nécessitent la réactivation d’un nombre plus important de traces mnésiques. De ce fait, la diversité des contextes entre les différentes traces, la non pertinence de l’information contextuelle dans la production d’une réponse correcte, et le nombre très important de traces impliquées, expliquent pourquoi la démonstration des effets de contexte et de l’effet de distinctivité est plus difficile à obtenir dans des tâches de type sémantique.