Chapitre 3. Troisième série d’expériences -
Oker, A., Brunel, L., & Versace, R. (soumis)

Dans la littérature, les deux exemples d’études intéressantes qui ont permis d’observer un effet de distinctivité avec une tâche implicite sont celles de Srinivas, Culp et Rajaram (2000) et de Geraci et Rajaram, (2004). Le point commun de ces études, que nous avons présenté d’une manière plus détaillée dans le deuxième chapitre, était de respecter une répétition des processus conceptuels mis en œuvre par la tâche pendant la phase d’apprentissage et la phase test. En effet, selon Geraci et Rajaram l’effet de distinctivité ne peut se manifester avec une tâche implicite de mémoire que si le paradigme permet de mettre en place les mêmes processus évaluatifs en encodage et en test. Selon nous, ceci n’est pas une obligation. Le modèle de mémoire purement épisodique défendu par Versace et al., (2002 ; 2009), en développant les notions d’activation et d’intégration, doit permettre d’expliquer l’effet de distinctivité à partir de mécanismes impliqués à la fois dans les tâches explicites et dans les tâches implicites, mécanismes dont la mise en place ne nécessiterait pas forcément la répétition des processus évaluatifs entre les phases d’encodage et de test, même si cette répétition peut faciliter l’apparition de l’effet de distinctivité.

L’objectif principal de cette troisième série d’expériences était donc de montrer que l’effet de distinctivité avec des tâches implicites et explicites de la mémoire peut être expliqué par le niveau d’intégration des composants, intégration à la base de l’émergence des connaissances. En effet, le modèle de mémoire défendu par Versace et al., (2002 ; 2009) suppose qu’un mécanisme d’activation multimodale et un mécanisme d’intégration intra et intermodale intervient pour permettre l’émergence des connaissances. Dès lors que nous nous confrontons à un objet, ses composants sensoriels sont traités et encodés en parallèle par notre système mnésique. Par exemple, pendant la visualisation d’un objet, les zones visuelles correspondantes sont tout d’abord activées. Ces activations initiales déclanchent l’activation des autres composants sensoriels reliés à l’objet au sein des traces mnésiques, tels que les composants auditifs, olfactifs, mais aussi moteurs ou émotionnels. C’est l’intégration progressive de ces composants qui serait à l’origine de l’émergence d’une connaissance et qui permettrait la « récupération » explicite de celle-ci. Dans le chapitre 3 de la partie théorique, nous avons postulé que le nombre de composants impliqués dans l’intégration conditionne l’émergence de l’effet de distinctivité avec les tâches implicites et explicites. Le niveau de distinctivité d’une trace serait en lien avec son niveau d’accessibilité explicite (recollection). Ainsi la différenciation explicite/implicite serait un continuum lié au niveau de distinctivité et non pas une différenciation en termes de systèmes sous-jacents.

Dans cette série d’expériences, nous avons manipulé deux niveaux d’intégration des traces, niveau déterminé par le nombre de composants. Nous avons choisi utiliser une liste de mot en isolant soit une seule dimension, ce qui représente un niveau d’intégration faible (liste distinctivité unimodale) versus une autre liste dans laquelle l’isolation des mots ne dépend pas d’une seule dimension mais d’une intégration de plusieurs dimensions, représentant un niveau d’intégration plus élevé (liste distinctivité multimodale). Pour la liste de distinctivité unimodale, les mots présentés dans un contexte rare et fréquent se référaient aux objets qui typiquement produisent un bruit lors de leur utilisation, ou aux objets qui ne produisent pas typiquement de bruit. Dans cette liste de distinctivité unimodale, nous avons donc limité l’isolation à une modalité sensorielle : le son. Pour la liste de distinctivité multimodale, les mots rares et fréquents référaient aux catégories des entités « vivant » ou « non vivant ». La différenciation entre ces deux catégories sémantiques relève très certainement d’un nombre important de composants intégrés au sein des traces mnésiques. Ce qui diffère entre la catégorie « vivant «  et la catégorie « non vivant » ne peut se résumer à une seule dimension. Nous allons comparer ces deux niveaux avec une tâche de rappel libre, une tâche de décision lexicale et finalement une tâche de reconnaissance.

Notre hypothèse était que le rappel libre ou la composante « recollection » de la reconnaissance demandent la récupération consciente d’une connaissance très spécifique correspondant à une trace particulière. Dans ce cas, l’efficacité mnésique doit dépendre de la distinctivité de la trace à récupérer par rapport aux autres traces. Ainsi, la distinctivité, pour être efficace, doit concerner la trace dans sa globalité (l’ensemble des composants intégrés).

Au contraire, la décision lexicale ou la composante “familiarité” de la reconnaissance, n’implique pas nécessairement la récupération d’une trace particulière. Ainsi, l’émergence de connaissances catégorielle ou un niveau élevé de familiarité pourrait être engendrés par la distinctibilité globale des traces réactivées, mais aussi par la distinctibilité des composants isolés réactivés au sein des traces.