3.4. Discussion de la troisième série d’expériences

Les objectifs de cette dernière série d’expériences sont multiples :

Nous avons voulu montrer que l’effet de distinctivité peut être obtenu avec une tâche implicite de mémoire sans qu’il y ait de répétition des processus évaluatifs entre les phases d’encodage et la phase test selon l’idée soutenue par Geraci et Rajaram, (2004).

Nous avons également souhaité formuler le postulat selon lequel, la notion d’intégration des dimensions sensorimotrices formulée selon le modèle de Versace et al., (2002; 2009) peut permettre d’expliquer les manifestations de l’effet de distinctivité selon plusieurs tâches implicites ou explicites. Pour réaliser ce projet, nous avons construit deux listes séparées; l’une appelée « distinctivité unimodale » qui représente une intégration limitée qui ne concerne qu’une seule modalité sensorielle entre plusieurs traces ; l’autre appelée « distinctivité multimodale » qui représente une intégration plus aboutie concernant l’ensemble des dimensions sensorimotrices possibles et imaginables pour l’émergence d’une catégorie.

Les résultats des expériences ont clairement montré que dans une tâche explicite de mémoire un effet de distinctivité apparaît uniquement lorsque le matériel présenté permet la récupération de la trace dans sa globalité, c’est-à-dire seulement après l’intégration de l’ensemble des dimensions sensorimotrices. Dans l’expérience 2, nous avons observé que dans une tâche implicite de mémoire, l’effet de distinctivité peut émerger indépendamment des listes constituées. Dans ce cas de figure, la tâche de décision lexicale est sensible à l’isolation quelle que soit le niveau d’intégration ; A la fois l’ensemble de la trace mais aussi selon l’intégration d’une seule dimension sensorielle.

Cependant, la définition de la récupération de la trace dans sa globalité nécessite un éclaircissement. En effet, le modèle Minerva II ne permet pas de récupérer une trace unique. Par la récupération d’une trace dans sa globalité, nous faisons allusion à l’implication d’un nombre moins important de traces qui représente un épisode plus spécifique avec l’intégration de l’ensemble des modalités sensorielles. La récupération d’une connaissance générale implique un nombre beaucoup plus important de traces par rapport à une connaissance spécifique. Pour résumer, nous pouvons dire que dans tous les cas de figure, il y a forcément une intégration à la fois intra et inter traces, alors que dans le cas d’une tâche implicite, l’intégration inter-traces « unimodale » a plus d’importance et dans le cas d’une tâche explicite, l’intégration intra-trace a plus d’importance pour la récupération.

Nos hypothèses sont en effet complètement compatibles avec les résultats obtenus dans la littérature. Par exemple, Smith et Hunt (2000) ont souligné que le processus distinctif est inefficace pour la récupération d’une information à moins que le contexte d’encodage d’origine soit réintroduit pendant la phase test. Selon notre perspective, c’est plutôt la réintroduction des traces originales issues de l’encodage qui est un facteur déterminant pour le processus distinctif. Puisque le contexte est l’un des composants des traces, sa réintroduction est plus apte à servir en d’indice efficace pour la réactivation de la trace dans sa globalité.

Pour ce qui est du cas de reconnaissance, nous avons observé que les deux types de listes d’isolation qui impliquent des niveaux d’intégrations différentes permettent d’observer le même effet de distinctivité avec les latences de reconnaissance. Nous observons également une différence de degré de certitude uniquement pour la liste distinctivité multimodale. De ce fait, les latences de reconnaissance sont interprétées comme le résultat du processus de familiarité alors que la modulation du degré de confiance est interprétée comme le résultat du processus de recollection. Cette tâche nous dessine donc un profil similaire à notre tâche de décision lexicale pour l’observation des latences et un profil similaire à notre tâche de rappel libre pour l’observation des degrés de certitudes.

Pour ce qui est des tâches implicites ; selon Geraci et Rajaram (2004), l’effet de distinctivité nécessite la répétition du type de processus mis en œuvre pendant l’encodage. Selon notre interprétation, le contenu des traces mnésiques encodées pendant l’encodage dépend du type de processus demandé par la tâche. D’un point de vue similaire, le type de processus engagé pendant la phase test détermine quels composants de la traces mnésique sont plus activés. Par conséquent, si le type de processus engagé pendant les phases d’encodage et de test est similaire, ceci facilite la réactivation des traces issues d’encodage et plus particulièrement, la réactivation des traces qui sont plus simples à discriminer.

Plus généralement, l’intérêt de cette explication est qu’elle propose une explication de l’effet de distinctivité qui peut prédire les résultats à la fois pour les tâches implicites et explicites. En effet, nous supposons qu’il existe un continuum entre les différents types de processus de récupération, de l’implicite vers l’explicite. Nous postulons l’existence d’un processus de récupération unique qui émerge selon la complexité de représentation (pour une revue, voir aussi Leritz, Grande, & Bauer, 2006). Cette différenciation entre la récupération explicite et implicite selon la nature des traces activées ou intégrées peut être interprétée par analogie à la distinction des connaissances épisodiques et sémantiques dans le modèle des traces multiples de la mémoire (Hintzman, 1986 ; Whittlesea, 1987 ; Versace et al., 2002, 2009). Selon Versace et al., (2009), les formes de connaissances résultent de la réactivation des traces et sont situées dans un continuum qui reflète la « quantité » des traces réactivées : un item spécifique de l’épisode serait le résultat de la réactivation d’un nombre peu important de traces, alors qu’une connaissance générale ou sémantique émerge de l’activation d’un nombre beaucoup plus important de traces. L’effet de distinctivité doit, de ce fait, apparaître au moment où il facilite ces processus.