Épilogue

Si l’existence de la forme « même » de la cognition est un sujet de débat parmi les spécialistes, la motivation de tout chercheur en psychologie reste la même : expliquer tâche par tâche, processus par processus le traitement d’une information effectuée par le système nerveux central qui fait émerger, au final, la conscience. À l’instar des aveugles qui touchent tous une petite partie d’un monstre éléphant, chaque chercheur essaient d’éclaircir une partie du mystère conscience. Nous espérons que dans cette thèse, nous avons contribué à cette éclaircissement en étudiant l’acquisition, la conservation et la restitution des éléments distinctifs en mémoire à long terme. Puisque nous avons étudié pendant tout le manuscrit la nature de la mémoire humaine, prenons quelques instants de réflexion sur la matière qui est justement encodée dans la mémoire.

La réalité de la matière

D’un point de vue phénoménologique, dès que l’on s’intéresse à l’étude de la mémoire humaine, on se heurte à des difficultés vieilles comme du monde ; celle du lien entre la réalité du corps et la réalité de la matière. Ces difficultés viennent, pour la plus grande part, de la conception tantôt réaliste, tantôt idéaliste que l’on se fait de la matière. À ce propos, Bergson déclara ceci en 1939 dans « Matière et Mémoire »: « On étonnerait beaucoup un homme étranger aux spéculations philosophiques en lui disant que l'objet qu'il a devant lui, qu'il voit et qu'il touche, n'existe que dans son esprit et pour son esprit, ou même, plus généralement, n'existe que pour un esprit. Notre interlocuteur soutiendrait toujours que l'objet existe indépendamment de la conscience qui le perçoit. Mais, d'autre part, nous étonnerions autant cet interlocuteur en lui disant que l'objet est tout différent de ce qu'on y aperçoit, qu'il n'a ni la couleur que l'œil lui prête, ni la résistance que la main y trouve. Cette couleur et cette résistance sont, pour lui, dans l'objet : ce ne sont pas des états de notre esprit, ce sont les éléments constitutifs d'une existence indépendante de la nôtre. Donc, pour le sens commun, l'objet existe en lui-même et, d'autre part, l'objet est, en lui-même, pittoresque comme nous l'apercevons : c'est une image, mais une image qui existe en soi».

Dans cette thèse, la matière, pour nous aussi, était un ensemble d’image. Et par « image », nous entendions une certaine existence qui n’est pas que ce que l’idéaliste appelle une représentation, mais qui n’est pas non plus ce que le réaliste appelle une chose. L’image d’une matière dans la mémoire humaine est une existence située à mi-chemin entre la chose et la représentation.

La méthode

Pour étudier les manifestations de la mémoire à long terme, nous avons procédé à une série d’expériences comportementales. Le débat qui a eu au début du XXe siècle sur l’opportunité de l’expérimentation comportementale y est pour quelque chose. En effet, en 1932, Ebbinghaus commençait utiliser les stimuli sans signification (les pseudomots) pour étudier la mémoire. Un chercheur nommé Bartlett était manifestement très critique à l’utilisation des stimuli sans signification et concluait que ces recherches n’apportaient rien d’utile à l’étude de la mémoire « de tous les jours » puisqu’on n’utilise pas des pseudomots dans la vie courante. Pour lui, pour étudier la mémoire, il fallait soumettre les personnes à des expériences dans leur milieu naturel et surtout utiliser des stimuli qu’ils utilisent au travail, à l’école etc... Pour répondre à ces critiques de plus en plus vives, l’une des rares chercheuses de l’époque von Restorff marqua ceci dans l’unique article scientifique qu’elle a publié en premier auteur: « Ne nous mentons pas ; les tâches dont la plupart des gens exécutent tous les jours n’ont pas plus de sens que ce que l’on leur demande faire dans nos laboratoires ».

En effet, dans cette thèse, les expériences que nous avons conçues n’avaient pas plus de sens que ce que les sujets font tous les jours dans leur milieu naturel. C’est la raison pour laquelle leur comportement dans les salles d’expérimentation était conforme à la « vérité ».

Pour finir

Enfin, puisque nous nous sommes soumis à la quête de la « vérité » en matière de comportement mnésique, en employant des méthodes scientifiques, rigoureuse et objectives qui permettent de recueillir des données empiriques, nous ne pouvons pas conclure nos travaux sans citer William James : « Le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour la pensée ».

En effet, proposer un mécanisme d’abstraction en transférant les informations d’un sous-sytème vers un autre est quelque chose qui a un coût cognitif, qui est complexe et surtout pas du tout avantageux car il ne permet pas de rendre compte du caractère situationnel et sensoriel des connaissances. En revanche, proposer une mémoire humaine uniquement épisodique permet d’expliquer la récupération de toute sorte d’information, tout en rendant compte de la nature non abstractive des connaissances. Cette proposition est plus simple à concevoir et surement plus avantageuse pour le système cognitif.