Bible et ségrégation, Bible et libération

A partir de ces principes évangéliques, les chrétiens mobilisés sur la question de l’apartheid élaborèrent des solutions concrètes à apporter aux populations victimes du racisme et réfléchirent à la place que les Eglises avaient à jouer dans la transformation des structures racistes.

Face au problème d’apartheid, les chrétiens français ont eu à appréhender des questions particulières, rendant l’engagement profondément sensible car touchant à l’identité chrétienne (particulièrement pour les calvinistes) et au champ politique, économique et social.

En effet, les Eglises réformées hollandaises ont joué un rôle central dans la mise en place du système d’apartheid. Les chrétiens afrikaners développèrent un calvinisme austère qui, à l’écart des évolutions doctrinales de l’Europe protestante, engendra une idéologie ségrégationniste favorisée par une religiosité omniprésente développée sans pasteur, la Bible à la main comme seul livre disponible et seule source de vérité.

Les chrétiens français eurent à prendre position devant une argumentation religieuse qui s’incarna au sein de la politique d’apartheid mis en loi au moment de l’arrivée au pouvoir du Parti national en 1948. Le XIème statut du Parti présente la volonté d’instauration d’un projet politique consistant en la formation de Nations distinctes, au caractère propre, projet qui s’inscrit dans le dessein de Dieu :

‘« Le parti se considère comme le mandataire chrétien de la race européenne et fait de ce principe la base de sa politique à l’égard des races non européennes. Conformément à ce principe, il donnera aux races non européennes l’occasion de se développer sur leur territoire, selon leurs aptitudes et leurs capacités naturelles et leur assurera un traitement raisonnable de la part de l’administration du pays, mais il est absolument opposé à tout mélange des races européennes et non européennes17 ». ’

Si la Bible fut instrument d’oppression dans la lecture faite par les Eglises hollandaises, elle fut outil source de libération. Cette citation célèbre de Desmond Tutu, sur un ton humoristique et percutant représentatif du personnage, traduit bien cette force libératrice proposée aux populations opprimées :

‘« Nous avions la terre. Les Blancs sont venus avec leur Bible et nous ont dit : « Fermons les yeux et prions ». Lorsque nous les avons rouverts, ils avaient pris la terre et nous avaient laissé la Bible ».’

Il s’agissait donc, pour les chrétiens mobilisés, de poser leur regard sur une résistance visible dans des Eglises chrétiennes sud-africaines anglophones ou au sein de groupes ou instituts qui élaborèrent un message théologique adaptée à la situation de crise, un message capable d’atteindre les populations opprimées et de servir d’impulsion à une prise de conscience. Il s’agissait surtout, comme l’a dit le dominicain sud-africain Albert Nolan, de transformer un Evangile « qui justifiait et légitimait le colonialisme, l’impérialisme et la supériorité européenne 18  » et de le comprendre « dans les termes de l’expérience noire de la souffrance, de l’insécurité et de l’oppression 19  ».

Les observateurs français ont donc été conduits à prendre position devant cette religiosité omniprésente, l’Evangile lu comme un objet d’oppression et simultanément comme source libératrice.

Notes
17.

Statut du parti cité par Bruno CHENU, L’urgence prophétique, Paris, Bayard/Centurion, 1997, p. 221.

18.

Albert NOLAN, Dieu en Afrique du Sud, Paris, Cerf, 1991, p. 19.

19.

Ibid., p. 22.