1 Les liens de l’histoire : au nom de la « grande famille chrétienne »…

1-1 Le noyau huguenot, composante de la nation blanche afrikaner

L’Afrique du Sud fut, tout au long du XVIIème siècle, une terre de migration, un refuge pour migrants venus du Nord de l’Europe et fuyant un climat de persécutions religieuses, de guerres ou de misères. La population blanche néerlandaise accueillit donc Hollandais, Flamands, Danois, Allemands et Français. En 1688, environ 150 huguenots français, qui s’étaient réfugiés dans les Provinces-Unies à la suite de la Révocation de l’Edit de Nantes, débarquèrent près du Cap28. Ils se consacrèrent notamment à la culture de la vigne dans la région de Stellenbosch. Cette communauté française est rapidement assimilée au reste de la population réformée. Par conséquent, leur contribution culturelle fut minime. Ce groupe français, même intégré à une nation plus large, fut considéré comme responsable, aux côtés des Afrikaners, de la mise en place des premiers fondements ségrégationnistes.

Avant de traiter plus en profondeur de cet épisode et de sa répercussion dans la presse chrétienne, il est important de noter que la presse catholique n’a fait que très brièvement écho de cette présence, premier signe d’une différence de traitement et de compréhension de la question sud-africaine au sein de chacune des deux confessions. La Croix en fait cependant rapidement mention en 1955 :

‘« Les liens du sang unissent un grand nombre de Sud-Africains à la France. [ …]. L’Afrique du Sud compte aujourd’hui plus de 300 000 descendants de huguenots français qui s’étaient exilés après la révocation de l’Edit de Nantes et le président Kruger dit d’ailleurs que Pretorius lui-même était descendant français par les femmes 29  ».’

Cette mention d’une présence française en Afrique du Sud apparaît en 1951 et 195330, dans le Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français 31 . L’auteur Charles D. Herisson tend à amplifier les effets de la présence huguenote. Bien qu’attestant de l’assimilation de la communauté au cours du XVIIIème siècle, C. Herisson, dans son article de 1951, n’hésite pas à avancer que «  les Huguenots français et leurs descendants furent les premiers vrais Sud-Africains ; ils contribuèrent puissamment à la naissance d’une nouvelle nation et à la formation du patriotisme sud-africain 32  ».

La spiritualité des Huguenots français est mise au premier plan, rassemblant des idéaux de liberté, de piété et de patriotisme. Une critique est cependant soulevée par l’auteur :

‘« Toutefois, au cours des deux dernières décades, l’esprit grégaire a pénétré dans cette population sous l’influence d’idéologies politiques étrangères avec, comme conséquence une certaine abdication de l’esprit de liberté 33  ».’

C’est bien du système d’apartheid dont il est fait mention sous cette formule quelque peu alambiquée… Il n’en sera pas dit plus.

C’est encore le courage et la détermination des Huguenots qui sont représentés sur le monument huguenot34 érigé par la Société huguenote d’Afrique du Sud et inauguré à Franschhoek en 1948. C. Herisson regrette à ce propos qu’aucun représentant du protestantisme français ne se soit rendu en Afrique du Sud pour cette inauguration, montrant donc que dans les années 50, la solidarité de la grande famille réformée française est une notion qui reste abstraite. Les Français se gardent bien de participer à des cérémonies, participations qui pourraient être considérées (à raison) comme un soutien politique au gouvernement sud-africain et donc au système d’apartheid.

Sans encore parler de solidarité, les réformés français feront régulièrement mention de cette présence huguenote dans leurs organes de presse. C’est le cas dans la revue Réforme qui consacre un article important à la situation sud-africaine dans son numéro du 16 avril 1960 rappelant que l’histoire du pays est liée à « l’arrivée massive de réfugiés français, chassés par la Révocation de l’Edit de Nantes 35 ».

Notes
28.

Les Huguenots s’installèrent à l’écart du village de Stellenbosch, à Franschhoek, « le coin des Français ». Jusqu’en 1707, Les huguenots voulant faire le voyage jusqu’au Cap pouvaient le faire gratuitement.

29.

« Pretoria, capitale inconnue », La Croix, n°22135, 27 octobre 1955, p. 3.

30.

Charles D. HERISSON : « Les Réfugiés huguenots du XVIIème siècle et la survivance française en Afrique du Sud », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, avril-juin 1953, p. 57 à p. 93.

31.

Sur ce même thème, voir aussi J.ALLIER, « A la mémoire des Huguenots français émigrés en Afrique du Sud », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1er trimestre 1967, p. 11 à p. 22.

32.

Charles D. HERISSON, « La contribution des Huguenots français et de leurs descendants à la vie nationale sud-africaine », Bulletin de la Société de l’histoire du Protestantisme français, avril-juin 1951, p. 85.

33.

Ibid., p. 89.

34.

Le monument est composé « d’une arche triple très élancée, surmontée d’une très haute tige de pierre qui porte en son milieu un soleil et à son sommet… une croix huguenote », in M. CORNEVIN, « Le tricentenaire de l’arrivée des Huguenots en Afrique du Sud », Journal des missions évangéliques, avril-juin 1988, p. 59 à 64.

35.

« Révolte en Afrique du Sud », Réforme, n°787, 16 avril 1960, p. 8.