4-2 Une théologie d’Etat, le « national - christianisme »

Dans un contexte de crise morale traversée par les communautés boers (aux prises avec l’impérialisme britannique), certaines structures ecclésiales ont entrepris une régénération en se tournant vers une « mère-patrie », en lui empruntant ses éléments idéologiques les plus conservateurs. Dans les années 1860, les conservateurs néerlandais favorables à la création d’une Eglise séparée de l’Etat se réunissent autour d’Abraham Kuypers (1837-1920), pasteur, évangéliste, théologien et philosophe116. Fondateur en 1880 de l’université libre d’Amsterdam et en 1885 de la Gereformeerde Kerk, c’est son enseignement qui sera diffusé en Afrique du Sud, par l’intermédiaire des pasteurs hollandais qui propageront cet enseignement au sein des Républiques boers. Basé sur le respect d’une stricte doctrine calviniste, Kuypers est le premier à concevoir une théologie de l’engagement politique du chrétien.

Le concept de base de ce calvinisme s’articule toujours autour des notions de « peuple élu » et de « mission divine », mais l’enseignement de Kuypers réside dans la notion du Règne universel du Christ dans tous les domaines de l’être. Les différentes sphères dans lesquelles évoluent les hommes (politiques, culturelles…) ne dépendent ainsi que de Dieu. Le rôle de l’Etat (autorité soumise au pouvoir divin) est de garantir la souveraineté des individus et des groupes dans leur propre sphère.

En Afrique du Sud, la nation sera exaltée comme sphère sociale créée et établie par Dieu. Les hommes se feront donc un devoir de respecter ces nations distinctes et ce projet, transformé en projet politique, ne serait que la concrétisation et la mise en place d’une volonté divine jugée souveraine et sans appel. Toute tentative pour supprimer les nations est considéré comme étant une atteinte à l’ordre naturel voulu par Dieu.

Dans leur volonté d’accomplir un projet divin, toute action politique devait être orientée vers l’accomplissement de ce projet qui serait ainsi à la source d’un bouleversement profond de la société, une nouvelle vision du monde. Cette cité serait bâtie sur des préceptes chrétiens et y participer ne relèverait pas du domaine politique mais bien de la responsabilité individuelle du croyant :

‘« Pour les Afrikaners, cette volonté de bâtir un nouveau monde devient un projet révolutionnaire et va servir parallèlement à légitimer toutes leurs revendications, de groupe dominé tout d’abord, de groupe dominant par la suite. Le calvinisme induit ainsi une nouvelle compréhension du monde et du pouvoir 117  ».’

Joseph Limagne, dans les Informations catholiques internationales, note en 1977 le caractère « austère » du calvinisme sud-africain qui imprègne toutes les sphères de la vie quotidienne de l’Afrikaner118. Même si le journaliste met l’accent sur la place primordiale de la foi et de la pratique religieuse d’une manière anecdotique (prières, homélies, cantiques retransmis à la télévision…), il comprend bien que l’impact du calvinisme sur les mentalités, les choix politiques et donc sur l’élaboration du système d’apartheid est immense.

C’est au sein de cette théologie d’état aussi appelée national-christianisme que va concrètement s’élaborer l’apartheid dans les années 1930.

Notes
116.

« Théologiens du XXème siècle : Abraham Kuypers », Le Christianisme au XXème siècle, n°33, 4 septembre 1978, p. 11.

117.

Paul COQUEREL : L’Afrique du Sud des Afrikaners, Paris, Complexe, 1992, p. 74.

118.

Joseph LIMAGNE, « Afrique du Sud : le racisme aux abois » (1977), op.cit., p. 32.