4-5 La NGK, parti national en prière

Ce concept d’une « religion nationale » revient également régulièrement dans la presse. C’est le cas dès 1953 dans Les actualités religieuses dans le monde: avec le sous-titre « politique et religion », le journaliste présente le parti national comme « le prolongement politique de la communauté afrikaans, c'est-à-dire l’Eglise réformée hollandaise d’Afrique du Sud dont il épouse le principe de suprématie de la race blanche, flambeau de la civilisation chrétienne en Afrique 135  ».

Joseph Limagne, dans le dossier que les Actualités religieuses dans le monde consacrent à la question en 1977, fait mention de ce même lien. Sans parler de religion d’Etat, il note que trente-cinq des quarante ministres de John Vorster appartiennent à la NGK et fait le constat suivant :

‘« L’alliance des chefs politiques et religieux est une constante de son histoire. Grâce à elle, l’un des plus monstrueux systèmes de gouvernement, l’apartheid, peut aujourd’hui se prévaloir de la caution du christianisme 136  ».’

Deux ans plus tard, Joseph Limagne renforce son propos et sa condamnation parlant clairement de la NGK comme d’une « Eglise politique […] qui a pour rôle de fournir une caution morale et théologique à la doctrine du développement séparé 137». La NGK est présentée comme une Eglise profondément fermée, en lien, d’une part avec le Parti national au pouvoir depuis 1948, et d’autre part avec le Broederbond dont 40% du clergé serait membre. Ce triptyque Eglise- parti national- Broederbondest une composante essentielle de la société blanche afrikaner et du régime d’apartheid.

Déjà en 1960, un article de Réforme faisait mention du Broederbond, une « mystérieuse société […] destinée à établir une république nationale, Afrikander et calviniste sans lien avec la Grande-Bretagne 138  ».

Le Broederbond, que l’on peut traduire par « ligue des frères », est une société secrète fondée en 1918 à Johannesburg. Née dans un contexte d’incertitude et d’inquiétude au lendemain de la première guerre mondiale, la société regroupe à ses débuts des employés, des policiers et des pasteurs. La société prend rapidement un caractère secret, fonctionnant comme une loge de type maçonnique. Intervenant au départ principalement dans la sphère culturelle, le Bond a pour objectif de promouvoir l’Afrikaans et la culture afrikaner. De 212 membres en 1927, le Bond passe à 1023 membres en 1933139. Le recrutement des Broers, tous de sexe masculin, calvinistes et d’un niveau social élevé, se fait par cooptation selon des critères très stricts et après une initiation secrète très ritualisée. Au sein des cellules, on travaille à la conservation de la nation boer qui, par sa langue et sa culture, est capable de dominer le pays.

Le Parti national arrive au pouvoir en 1948 : la plupart de ses membres et de ses dirigeants ont aiguisé leur conscience nationaliste au sein du Broederbond. Ils y ont intégré l’idéologie du national-christianisme140 et sont tous fidèles de la puissante NGK, communément présentée comme « le parti national en prière » et comme un cadre ecclésial et religieux donné au parti national.

Christian Piton dans Réforme réalise combien sont étroits les liens qui unissent le parti national au pouvoir et les « « Eglises réformées hollandaises », qui groupent 55% des chrétiens (blancs) du pays, et qui sont et demeurent les soutiens les plus fermes de l’idéologie de l’apartheid 141  ».

Cette référence à la responsabilité des Eglises réformées hollandaises sera récurrente dans la presse chrétienne française. Avant d’être présenté comme un système politique mis en place d’une manière institutionnelle en 1948, le système d’apartheid est abordé sous son aspect idéologique, aboutissement d’un national-christianisme véhiculé par le Broederbond d’une part et par les Eglises réformées hollandaises d’autre part, NGK en tête.

Pour permettre aux lecteurs de bien comprendre ce « nationalisme théologisé 142  », Bruno Chenu cite dans un article de La Croix les statuts éloquents du parti national :

‘« Le parti se considère comme le mandataire chrétien de la race européenne et fait de ce principe la base de sa politique à l’égard des races non européennes. Conformément à ce principe, il donnera aux races non européennes l’occasion de se développer sur leur territoire, selon leurs aptitudes et leurs capacités naturelles et leur assurera un traitement raisonnable de la part de l’administration du pays, mais est absolument opposé à tout mélange des races européennes et non européennes 143  ».’

La réaction de plusieurs journalistes à la diffusion en langue française en 1977 de la brochure de la NGK « Les relations humaines à la lumière des Ecritures » est symptomatique du souci des milieux chrétiens français de réagir à la justification théologique donnée à l’apartheid et au rôle des Eglises hollandaises qui apportent un cadre ecclésial et religieux au système. Les chrétiens français sentent donc qu’il est de leur obligation morale de réagir à une croyance calviniste qu’ils jugent dénaturé. Encore une fois, ce sont les réformés qui, se sentant attaqués plus directement, réagissent avec le plus de profondeur et de véhémence devant le rôle des Eglises hollandaises, en lien avec le Parti national. En plus de réagir à l’apport théologique d’une Eglise à un régime ségrégationniste, les chrétiens dénoncent une collusion entre le politique et le religieux, principe difficile à imaginer dans un pays où la laïcité est une règle fondamentale. Si ce sont des chrétiens qui sont à l’origine de l’apartheid, ce sont des chrétiens qui devront être leurs interlocuteurs afin de les ébranler dans leurs convictions. Une réaction et une prise de position sont donc, pour la plupart des observateurs chrétiens, totalement légitimes.

Les journalistes ont ainsi choisi d’informer les lecteurs de la religiosité calviniste imprégnant le système d’apartheid, donnant ainsi le « cadre » au traitement de la question. Ces fondements ecclésiaux et religieux donnés, ils traiteront dans de nombreux articles de l’aspect politique du système, en informant des premières lois instaurant une ségrégation raciale.

Notes
135.

« Afrique du Sud, racisme pas mort » (1953), op.cit., p. 17.

136.

Ibid, p. 32.

137.

« Le bastion chrétien du racisme, ICI, n°536, 15 mars 1979, p. 39.

138.

Anne-Marie LABARRAQUE, « L’Afrique du Sud : pays de contrastes et de la peur », Réforme, n°791, 14 mai 1960, p. 3.

139.

L’Afrique du Sud des Afrikaners, op.cit. p. 117.

140.

Au début des années 30, le Broederbond se structure sous l’autorité des professeurs de l’université de Potchefstroom. C’est au sein de cette même université que va se structurer l’idéologie du national-christianisme.

141.

« La résistance à l’apartheid » (1971), op.cit., p. 7.

142.

Bruno CHENU, « Les fondements religieux de l’apartheid » (1978), op.cit.

143.

Ibid.