5-2 ...et vision incomplète : la présentation du « petty apartheid »

Le terme « apartheid » apparaît pour la première fois en 1950 dans Le Christianisme au XXème siècle :

‘« La politique d’apartheid, qui est le principal point au programme du parti national dont le chef, le docteur Malan, détient le pouvoir, est une tentative de régler définitivement les rapports des blancs et des noirs en les séparant complètement, et en les laissant agir librement, chacun dans son domaine […]. Ce programme - qui peut sembler utopique - se présente tantôt sous un aspect fort déplaisant (interdiction aux noirs l’accès des chemins de fer, des cinémas, des hôtels, des églises…) mais il semble que, à d’autres points de vue, il peut offrir aux noirs une possibilité de libération très réelle dans un avenir plus ou moins lointain 153  ».’

Le journaliste semble avoir bien reçu et compris le message gouvernemental visant à justifier l’apartheid. Il sépare ainsi le « petty » apartheid (apartheid mesquin) qui instaure une ségrégation visible dans plusieurs domaines de la vie quotidienne, de l’apartheid territorial qui, selon lui, peut offrir une réelle chance aux populations noires de se développer. L’apartheid, dans ce sens, ne revêt pas un sens oppressif mais bien une chance de libération.

Un article de La Croix 154 traite, en septembre 1952, de cette ségrégation mise en place plus particulièrement dans les transports en commun et les débuts d’une désobéissance civique155. Encore une fois, l’apartheid est présenté dans ses effets et non dans ses fondements.

Alors que le parti national nouvellement au pouvoir érige institutionnellement le régime d’apartheid dès 1950 par la promulgation de lois ségrégationnistes, il est intéressant de constater que rares sont les articles faisant mention de ce nouveau système au pouvoir. Il n’est pas vraiment étonnant que ce soit l’apartheid « mesquin », le plus visible qui soit présenté dans la presse chrétienne française. Pourtant, deux principales lois de l’apartheid, le « Population Registration Act » et le « Group Area Act » sont promulguées dès 1950156. Elles ne seront mentionnées dans la presse que 3 ans plus tard.

Quant à la loi interdisant les mariages inter-raciaux promulguée en 1949157 (Prohibition of Mixed Marriages Act), elle ne sera mentionnée qu’en 1952.

La plupart des journaux français répercutent les images de cet apartheid mesquin. Les photos traduisant la séparation stricte entre Blancs et non-Blancs accompagnent ainsi de nombreux articles. Ces aspects les plus « visibles » de l’apartheid, répercutés dans la presse jusqu’à la libération de Nelson Mandela ne peuvent que frapper les lecteurs.

Photo 1 : Illustration du « petty apartheid » : banc réservé aux Sud-Africains blancs
Photo 1 : Illustration du « petty apartheid » : banc réservé aux Sud-Africains blancs

Source : Réforme, 14 août 1971.

Notes
153.

« Le problème racial en Afrique du Sud », Le Christianisme au XXème siècle, n°52, 28 décembre 1950.

154.

« Un danger pour l’Afrique du Sud », 5 septembre 1952, p. 3.

155.

En juin 1952, une importante campagne de désobéissance civique fut orchestrée par l’ANC qui exhorta ses militants à transgresser les lois ségrégationnistes. Elle s’inspira du Satyagrahas, la résistance passive élaborée par Gandhi au début du siècle. A l’issue de cette campagne, plus de 8000 personnes se firent volontairement arrêter. Les images d’une police répressive ne manquèrent pas d’alerter la communauté internationale.

156.

Selon le « Population Registration Act », tout individu doit être rattaché à un groupe ethnique qui détermine sa place dans la société. La population est alors séparée en 3 « races » : blanche, métis, indigènes.

Le « Group Area Act » définit quant à lui des lieux de résidence séparés pour chacun des groupes raciaux.

157.

En 1950, une seconde loi renforce la première portant sur les mariages inter-raciaux en interdisant les relations sexuelles entre groupes raciaux différents.