1-6 Les autres indépendances

L’indépendance du Bophutatswana²⁵⁷le 6 décembre 1977 est présentée comme une conséquence du caractère « endurci, buté ²⁵⁸  » des Afrikaners et de leur conviction que « les Blancs n’auront plus de place en Afrique du Sud le jour où les Noirs l’auront emporté par les armes ²⁵⁹  ». Joseph Limagne s’alarme encore une fois de la perte de nationalité des habitants du bantoustan maintenant indépendant, ces populations « qui ne peuvent accepter d’être purement et simplement décrétés « étrangers » sur la terre où ils sont nés ²⁶⁰  ».

Il est important de noter que seules Les Informations Catholiques Internationales consacrent un long article à cette nouvelle indépendance, comme si la question de l’évolution des bantoustans entrait, dans une certaine mesure, dans un processus de normalité à la finalité inéluctable.

La Croix consacre en septembre 1978 deux articles à l’indépendance d’un troisième bantoustan, le Venda, à l’extrême nord-est du pays. Si cette indépendance ne peut être que « fantoche ²⁶¹», Noël Darbroz s’interroge sur l’avenir de cette politique qui pourrait se retourner contre ses instigateurs :

‘« Le jour où les dirigeants des différents bantoustans cesseront d’être les créatures de Pretoria et s’uniront entre eux avec le soutien d’autres pays africains, ce pourrait être le commencement de la fin pour l’apartheid ²⁶²  ».’

Quelques jours plus tard, le correspondant Aymon Frank dresse le même constat concernant l’état politique du territoire (par exemple notamment la nécessité de demander l’autorisation pour organiser un meeting) et se projette dans le futur :

‘« Les événements au Venda, minuscule lopin de terre sud-africain, sont l’illustration du malaise profond dont souffre l’Afrique du Sud, et dont l’aboutissement ne peut-être que l’installation d’un régime autocratique et une contagion de la dictature dans l’ensemble du sub-continent Africain au nom de la loi et de l’ordre…²⁶³».’

Réforme ²⁶⁴ fait aussi référence à la situation du Venda, s’inquiétant de l’état des droits de l’homme dans le territoire. Après avoir bien spécifié que ce nouvel Etat n’est pas reconnu par les Nations Unies, le journaliste suspecte d’éventuels cas de détentions abusives et de cas de tortures en vertu de l’application de l’article 22 du Général Laws Amendement Act  qui autorise la police de sécurité à détenir une personne pendant 14 jours sans inculpation ni procès. Réforme reproduit un appel de l’ACAT (« Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture ») dans le but de soutenir Frank Rashaka Ratshitanga, condamné à 5 années de prison et qui, selon l’ACAT, est victime de tortures graves²⁶⁵.

Le Venda est le troisième bantoustan à devenir indépendant. Il est à noter que l’indépendance du Ciskei, 4ème et dernier bantoustan à parvenir à ce stade d’évolution, ne sera pratiquement pas répercutée dans la presse chrétienne française.

Concernant la question et la compréhension des bantoustans, plusieurs articles parus dans la presse chrétienne française dans les années 80 montrent bien que la propagande gouvernementale a peu d’emprise sur l’observateur étranger :

‘« Avec générosité et magnificence, le gouvernement sud-africain a déclaré qu’il rendait leur nationalité sud-africaine aux habitants des Homelands. De qui se moque t-il ? ²⁶⁶  ».’

Ariane Bonzon qui dans Réforme livre un regard juste sur ce qu’aurait pu être le développement séparé et ce qu’il est en réalité :

‘« Peut-être l’idée de développement séparé (à l’origine du terme apartheid) aurait-elle pu, sous une forme fédérative, être une solution. A condition que les dés n’aient pas été pipés dès le départ par l’inégalité flagrante de distribution des terres et des ressources qui font des homelands une caricature d’Etats indépendants. Trop tard pour revenir à cette idée qui a perdu toute crédibilité aujourd’hui ²⁶⁷  ».’