1-7 Une compréhension fluctuante des bantoustans : territoires offerts ou réservoirs de main d’œuvre…

La compréhension du « Grand apartheid » depuis le Population Registration Act jusqu’à la fin des années 80 a fortement variée et a été révélatrice des difficultés de la presse chrétienne française à se positionner face à cette question. Si « l’apartheid mesquin » est condamné d’une manière unanime, il n’en est pas de même pour le traitement de la question des bantoustans. La question souleva alternativement et parfois simultanément espoirs, inquiétudes, condamnations ou soutiens, les observateurs se sentant « écartelés » entre une vision « humaniste » de l’apartheid (une chance de développement pour chaque groupe…) et une vision plus pragmatique, les bantoustans permettant l’exploitation d’une main d’œuvre bon marché.

Ces différences de compréhension reflètent en fait le plus souvent les différentes lectures d’un discours gouvernemental, discours qui présente le processus menant les foyers noirs vers l’indépendance comme une opportunité de développement, la concrétisation d’un apartheid présenté non plus comme un système ségrégationniste mais comme une chance de développement séparé. Alain Bockel a lui aussi mis en évidence les regards erronés qui ont pu être portés sur le « grand apartheid » :

‘« Bon nombre d’observateurs étrangers furent même convaincus de la générosité apparente du projet d’accorder aux peuples noirs leur auto-détermination, masquant la vaste entreprise de privation des droits, de généralisation de la discrimination, puis de déportation des populations à laquelle vont se livrer les gouvernements successifs 268  ».’

La question des bantoustans révèle ainsi l’efficacité dont témoigna le gouvernement sud-africain pour présenter le système d’apartheid sous ses meilleurs aspects. Certains observateurs chrétiens français, comme tant d’autres, furent les « victimes » de ce discours adressé à la communauté internationale.

Si la presse chrétienne française a donc répercuté, le plus souvent rapidement, les grandes lois de l’apartheid mettant en place géographiquement une ségrégation radicale et touchant les populations non-blanches dans leurs libertés fondamentales, elle traite d’une manière plus approfondie les répercussions des premières lois de l’apartheid sur le travail des Eglises missionnaires.

Notes
268.

Alain BOCKEL, De l’apartheid à la conquête du pouvoir : le défi démocratique en Afrique du Sud, Paris, Publisud, 1986, p. 19.