2-1 Les écoles missionnaires face au Bantu Education Act (1953)

Durant l’apartheid, les écoles et universités sont les institutions capables de garantir la pérennité de la culture afrikaans. Mais le gouvernement doit compter avec les écoles mises en place par les Eglises dites anglophones (ou missionnaires) qui, grâce à un réseau d’écoles, d’hôpitaux et dispensaires, parviennent à assurer leur expansion et l’évangélisation des populations.

Ainsi, en 1951, 5,4% de la population noire est catholique alors que l’Eglise catholique est noire à 67,5%. Comparativement, l’Eglise anglicane comprend 49,5% de fidèles noires et 7,1% de la population noire est anglicane. Enfin, l’Eglise méthodiste, bien implantée en Afrique du Sud, compte en son sein 78,7% de fidèles noirs et 12,9% de la population noire est méthodiste269. Les Eglises dites « anglophones » accueillent donc tout naturellement les enfants noirs dans leurs écoles. En 1948, l’Eglise catholique possède 740 écoles rassemblant 85000 élèves. En 1953, l’Eglise catholique contrôle 15% des écoles ouvertes aux noirs270.

Dès l’arrivée au pouvoir du Parti national, il est clair pour le gouvernement que le domaine de l’éducation, comme tous les autres domaines, doit être régi par les principes d’apartheid271.

Les écoles aux mains des Eglises missionnaires, ouvertes à tous sans critères de races, seront rapidement des « cibles » prioritaires pour le gouvernement. Si Hendrik Verwoerd272 est le principal promoteur d’une politique raciale concernant l’éducation, le gouvernement s’est penché sur la question dès 1949 : soucieux de proposer un enseignement « adapté » aux populations noires, il commande un rapport qui sera publié 3 ans plus tard (rapport Eiselin) et qui servira de base au Bantu Education Act promulguée en 1953. Cette loi pose le principe de l’inutilité d’une éducation qui pourrait favoriser le développement de la population noire. Comme, selon le principe des bantoustans, les Noirs doivent se développer d’une manière séparée et n’auront pas accès à des emplois réservés aux Blancs, il serait inutile, illusoire (et dangereux) de leur proposer une éducation qui pourrait leur faire croire qu’un développement au-delà des réserves leur est possible… Voilà en substance le discours de Verwoerd pour justifier cette nouvelle loi273. L’éducation doit donc être sous la coupe totale du gouvernement, la loi impliquant une nationalisation de toutes les écoles. L’enseignement dépend désormais du Département des affaires indigènes (Department of Native Affair) et sera orienté vers l’enseignement traditionnel, le travail manuel et les savoirs techniques. Les programmes, les disciplines, la pédagogie sont donc revus et l’enseignement primaire sera délivré dans la langue traditionnelle propre à chaque groupe.

L’enseignement « libéral » et ouvert à tous des Eglises missionnaires, le message d’égalité des droits et de fraternité délivré par ces Eglises, seront ainsi directement visés et touchés par la Bantu Education Act (1953). Concrètement, la loi obligeait toutes les écoles à passer sous le giron de l’Etat qui pourra ainsi assurer un contrôle étroit sur l’enseignement délivré. Toutes subventions versées aux écoles missionnaires seront ainsi supprimées afin d’obliger ces dernières à se soumettre et donc à fermer leurs portes274.

Notes
269.

Statistiques émanant de Union statistics for fifty years (1960) in Garth ABRAHAM : The Catholic church and apartheid, Johannesburg, Ravan Press, 1989, p. 138-139.

270.

Statistiques émanant de Catholic directory (1948) in Garth ABRAHAM : op.cit., p. 62.

271.

Dès 1939, un institut pour l’éducation chrétienne nationale (Instituut vir Christelike-Nationale Onderwys ou C.N.O) émanant du Broederbond est crée afin de s’assurer que l’enseignement du petit Afrikaner respectera la doctrine du Natinal-Christianisme. L’Institut édite une charte en 1948 réaffirmant la volonté divine du développement séparé et réclamant que les professeurs soient tous de confession calviniste. Les principes de cette charte sont exposés dans I.B TABATA : Education for barbarism in South Africa, Londres, Pall Mall Press, 1960, p. 43-46.

272.

Hendrik Verwoerd devient premier ministre de l’Union sud-africaine en 1958. Il le restera jusqu’à son assassinat par un extrémiste blanc en 1966.

273.

En effet, selon Verwoerd, « il n’y a aucune place pour lui [le bantu] dans la communauté européenne au-dessus du niveau de certaines formes de travail. Jusqu’à maintenant, il a été assujetti à un système scolaire qui l’attirait hors de sa communauté et le trompait en lui montrant les verts pâturages de la société européenne, où il n’était pas admis à venir paître », in I.B. TABATA : Education for barbarism in South-Africa, op.cit., p. 54.

274.

A la suite de la promulgation de la Bantu Education Act, les dépenses affectées à l’éducation des noirs ne pouvaient être tirées que des impôts prélevés sur la population noire.