2-4 Une présence catholique en Afrique du Sud toujours problématique pour les Afrikaners

Ces deux principales lois touchant les milieux catholiques se comprennent particulièrement bien lorsque l’on se penche sur l’histoire de la présence catholique en Afrique du Sud, pays dont la population blanche est massivement calviniste. Si une première Eglise est érigée dans la baie du Natal au début du XVIème siècle par des catholiques portugais, le climat va profondément se dégrader lors de l’installation des Hollandais et particulièrement à partir du XVIIème siècle alors que naîtra un véritable antagonisme envers les catholiques qui seront interdits de culte dans certaine province (comme la province du Cap). La situation s’améliore au début du XIXème siécle avec l’arrivée de la nouvelle puissance coloniale anglaise et la levée partielle de l’interdiction de l’Eglise catholique en 1803318. En 1837, le pape Grégoire XVI érige l’Afrique du Sud en Vicariat apostolique et nomme à sa tête le dominicain Patrick Raymond Griffith319. Le territoire s’ouvre ainsi à différents groupes missionnaires parmi lesquels les O.M.I en 1852 qui vont particulièrement œuvrer auprès des zoulous ou les Trappistes qui vont s’implanter dans le Natal. Tous orienteront leurs efforts missionnaires vers les populations noires par l’intermédiaire d’un réseau éducatif très vite performant320. Ce « succès » suscita logiquement l’inquiétude des Afrikaners, réagissant à cette Eglise étrangère qui s’attache à saper l’idéal d’apartheid imposé par les Afrikaners. Les tensions ne cesseront d’augmenter au cours du XXème siècle alors que la présence de l’Eglise catholique s’affirme numériquement321.

Preuve de ces tensions, Die Kerkbode, journal officiel de l’Eglise réformée hollandaise, parle en 1939 d’un « danger romain » (« Roomse gevaar ») comparable au « péril » communisme. Le même climat anti-catholique existe encore au XXème siècle et il est évident que la loi sur l’éducation et celle sur la ségrégation dans les lieux de culte en sont des manifestations directes (même si c’est l’ensemble des Eglises anglophones qui est touché).

La presse chrétienne française va reproduire dans ses colonnes les attaques contre l’Eglise catholique parues dans la presse sud-africaine. Ainsi, la référence au « danger romain » tel qu’il est cité dans Die Kerkbode est repris dans Les Actualités Religieuses dans le Monde 322 en 1953. En 1956, la revue rapporte que plusieurs lettres présentant l’Eglise catholique comme un danger pour le pays sont parues dans le journal afrikaner de Pretoria, Die Transvaler 323 . Michel Honorin rapporte également dans La Croix avoir nettement senti une animosité contre l’Eglise catholique, incarnation, là encore, d’un « danger romain 324  ».

Une conséquence de cette animosité est rapportée dans un article de Fides en 1960 qui rend compte d’une nouvelle campagne de presse menée pour protester contre l’accroissement de l’immigration catholique dans le pays. Devant la crainte de voir se développer une immigration catholique italienne, le journal  Die Kerkbode répond que « des immigrants venant de notre propres mères - patrie d’Europe nous offriraient de plus grandes possibilités d’enrichissement sans nous exposer à nous voir débordés 325  ». La question de l’immigration catholique sera un sujet récurrent dans les années 50 : Les Informations Catholiques Internationales rapportent par exemple à plusieurs reprises « cette singulière politique d’immigration 326  » qui fera que « l’on n’admettra dans l’Union que des Européens capables de s’adapter à la « civilisation » afrikaner : Scandinaves et Allemands de religion protestante. Les catholiques en seront exclus 327  ». En 1967, Les Informations Catholiques Internationales réagissent brièvement à la menace d’une nouvelle forme de contrôle du nombre de catholiques présents dans l’Union qui fera que « les missionnaires étrangers devront solliciter tous les 6 mois le renouvellement de leur permis de séjour 328  ».

La presse catholique française réagit donc largement aux mesures visant à réduire la présence de l’Eglise catholique dans l’Union. Les entraves faites à l’entrée et au travail des missionnaires européens sont dénoncées avec vigueur, même si l’Eglise catholique française ne pouvait pas se sentir visée directement, puisque l’on ne peut pas noter de présence missionnaire française réelle en Afrique du Sud. Ce climat anti-catholique ne fut pratiquement pas soulevé par la presse réformée française. Notons seulement un court article dans Réforme en 1960329, informant de la campagne de presse menée dans Die Kerkbode concernant le refus d’admettre davantage de missionnaires catholiques venant d’Italie.

Notes
318.

C’est seulement en 1820 que les Britanniques autoriseront l’entrée officielle de l’Eglise catholique dans la province du Cap.

319.

Pour un historique de la présence dominicaine en Afrique du Sud, voir : Philippe DENIS (Dir) : Mémoire dominicaine : histoire des Dominicains en Afrique, n°4 (n°spécial), Cerf, 2001, 239 p.

320.

En 1862, on compte sur le territoire 30 000 catholiques. Lors de l’arrivée de Mgr Griffith en 1837, ils étaient 700.

321.

Entre 1911 et 1951, la population catholique a augmenté de 378% alors que la population du pays seulement de 81%. Les fidèles sont composés à 67,5% de noirs. L’Eglise se structure en 1947 par la création de la Conférence des évêques d’Afrique australe (SACBC), composée des Eglises catholiques d’Afrique du Sud, de Namibie, du Botswana et de Swaziland. Pie XII érigera la hiérarchie en 1951.

322.

« Le racisme vainqueur », ARM, n°3, 1er mai 1953, p. 11-12.

323.

« Campagne de presse contre l’Eglise catholique », ICI, n°37, 1er décembre 1956, p. 10-11.

324.

Michel HONORIN, « L’Afrique du Sud : un pays au ban du monde », La Croix, op.cit., p. 8.

325.

« Contre l’immigration des catholiques », Fides, 2 avril 1960, NF 375. Cette « appréhension » du journal avait pour base un communiqué de presse, suivant lequel les autorités sud-africaines espéraient parvenir à un accord avec le gouvernement italien afin d’augmenter dans l’Union le nombre d’immigrants venant d’Italie.

326.

« Le racisme est une forme de déterminisme national » (1955), op.cit., p. 10.

327.

Ibid.. Voir aussi : « Renforcement des mesures empêchant l’entrée des missionnaires catholiques », ICI, 15 février 1956, p. 13.

328.

« En bref » (1967), op.cit., p. 17.

329.

« Le Cap : ségrégation religieuse ? », Réforme, 26 mars 1960, p. 4.