2-5 La presse et la nouvelle campagne de répression contre les catholiques sud-africains

Le travail des Eglises missionnaires anglophones fut donc rendu particulièrement difficile par le régime d’apartheid, et ceci particulièrement durant les années 50. Si la situation des Eglises est loin d’être facile durant les 2 décennies suivantes (difficile travail d’apostolat dans les territoires noirs, situation difficile des écoles missionnaires…), la presse française chrétienne n’en fait plus écho jusqu’en 1973. En effet, alors que l’Eglise catholique continue à subir les conséquences du Bantu Education Act 330 , un événement fragilise encore plus la présence missionnaire dans le pays :

‘« Le Père Albert Dankei, Oblat de Marie, ancien aumônier de la JOC sud-africaine s’est vu refuser le permis de rentrer au pays. Il venait d’accompagner un groupe de pèlerins sud-africains à Rome et à Lourdes lorsqu’il apprit la mesure 331  ».’

Cet événement est annonciateur d’une vague de répression touchant de plein fouet le mouvement de la JOC sud-africaine332en 1978. Fortement impliqué pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations non-blanches opprimées, le mouvement dénonce, dès 1971, l’interdiction gouvernemental l’empêchant de rassembler ses militants de « couleurs différentes » pour sa session de formation nationale333. Le mouvement est touché par une vague d’arrestations en 1978334, faisant l’objet de plusieurs d’articles dans La Croix, dont un reproduisant les propos de l’aumônier national sud-africain De Fleuriot parlant de véritable « persécution religieuse 335  ».

Si La Documentation catholique 336  se fait également l’écho de cette vague d’arrestations, c’est Fides qui reproduit la première la protestation de Mgr Fitzgerald337, alors président de la Conférence épiscopale catholique sud-africaine, concernant la détention de Phelelo Simon Magane338, président national des jeunes travailleurs catholiques :

‘« De tels procédés, assurément, sont indignes d’un pays qui se prétend chrétien, et entachent le beau nom du Christianisme. Quand on arrive à agir ainsi dans les bureaux de l’église, cela veut dire que nous sommes parvenus à une situation grave que l’on ne peut que réprouver 339  ». ’

Le sujet revient dans les colonnes de La Documentation Catholique en septembre de la même année, la revue reproduisant la lettre du Conseil épiscopal sud-africain adressée au premier ministre Vorster340. Les évêques y rappellent la fonction du mouvement et dénoncent la répression aveugle du gouvernement, réclamant procès ou libération :

‘« [Le mouvement] conduit des jeunes à comprendre comment la loi divine, et spécialement la loi de l’amour, régit non seulement la conduite individuelle ou familiale, mai aussi les domaines beaucoup plus difficiles des relations sociales, culturelles et politiques […]. M le 1er ministre, nous vous supplions d’abandonner la politique intransigeante qui a donné un nom si déplorable à l’Afrique du Sud dans le monde. Nous vous adressons cet appel urgent afin que, ou bien vous fassiez passer normalement ces gens devant les tribunaux, ou bien que vous les fassiez relâcher, au nom de la justice chrétienne 341  ».’

Cette lettre, cette supplique des évêques sud-africains reproduite pour l’information des catholiques français sur la situation de l’Eglise en Afrique du Sud, parle certes d’une vague de répression touchant particulièrement la JOC, mais replace ces événements dans un contexte de violence généralisée et anti-démocratique. Les rédacteurs regrettent également qu’un amalgame soit fait entre le travail de la JOC et le communisme342 :

‘« M le premier ministre, vous êtes très inquiet devant la menace du Communisme. Le meilleur antidote contre le Communisme n’est pas la répression. C’est la justice. Pour cette raison, les J.O.C sont parmi vos meilleurs alliés 343  ».’

On peut comprendre que le gouvernement de Pretoria fasse l’amalgame entre mouvement jociste et communisme (a fortiori à une époque où tous les mouvements anti-apartheid étaient présentés comme étant d’inspiration marxiste) : la J.O.C sud-africaine a toujours privilégié l’option de classe et non celle de race dans sa lutte contre les effets de l’apartheid. Dans le cadre de son travail auprès des jeunes travailleurs noirs, elle fut donc touchée de plein fouet par une répression gouvernementale visant à anéantir tous mouvements susceptibles de faire germer des revendications émancipatrices chez les populations noires. Alors que l’on parla de « péril romain » pour caractériser l’Eglise catholique comme l’on a parlé de « péril rouge » pour désigner le Communisme, il parait clair que le mouvement de la JOC à la fin des années 70 a été vu comme la manifestation d’une Eglise fortement politisée. L’aumônier sud-africain De Fleuriotrappelle ainsi dans La Croix 344 , que les membres de la JOC sont détenus en vertu de la loi contre le terrorisme et de la loi sur la sécurité intérieure et sont par conséquent considérés comme de véritables terroristes.

Notes
330.

« Faute d’argent, les évêques vont remettre des écoles privées au gouvernement », ICI , n°429, 1er avril 1973, p. 28.

331.

« 15 jours d’actualité religieuse », ICI, n°441, 1er octobre 1973, p. 24.

332.

Un historique de la présence de la JOC en Afrique du Sud sera fait dans le chapitre IV lorsque sera retracée l’expérience d’un des aumôniers français du mouvement, Jean-Marie Dumortier.

333.

La longue tradition des JOC d’Afrique, brochure parue à l’occasion du 75ème anniversaire de la JOC, p. 25.

334.

En 1977, une importante vague de répression a déjà touché plusieurs dirigeants d’Eglise comme Beyers Naudé de l’Institut Chrétien et Smangaliso Mkhatshwa avant qu’il ne devienne secrétaire de la Conférence épiscopale.

335.

« « La JOC est persécutée » affirme l’aumônier national », La Croix, 27 juin 1978, p. 7.

336.

« Protestation de Mgr Fitzgerald devant l’arrestation de plusieurs jeunes appartenant à la JOC d’Afrique du Sud », La Documentation Catholique, n°1746, 16 juillet 1978, p. 689.

337.

La Documentation catholique reproduit également la réponse de la Conférence épiscopale à l’appel de Mgr Fitzgerald, exprimant la solidarité de la Commission française : « la jeunesse ouvrière française est soucieuse du sort de la J.O.C d’Afrique du Sud » in « Les évêques de France et la J.O.C sud-africaine », La Documentation Catholique, n°1746, 16 juillet 1978, col 689.

338.

Le 1er mai 1978, la JOC avait rassemblé des travailleurs dans une paroisse de la banlieue de Johannesburg malgré l’interdiction gouvernementale. La police répliqua par une rafle dans toutes les villes du pays. Plus de 30 dirigeants nationaux et régionaux furent arrêtés dont Phelelo Magane, premier président noir du mouvement.

339.

« Protestation de Mgr Fitzgerald devant l’arrestation de plusieurs jeunes appartenant à la JOC », Fides, 7 juin 1978.

340.

Parmi les 7 évêques et les 5 archevêques signataires de la lettre, on retrouve notamment Mgr Hurley (archevêque de Durban) et le Cardinal Mc Cann (archevêque de Capetown).

341.

« Lettre des évêques d’Afrique du Sud au 1er ministre », La Documentation Catholique, n°1749, 24 septembre 1978, col 843-844.

342.

A noter que le Suppression of Communism Act entraîna en 1950 l’interdiction du parti communisme. En fait, le parti se saborda avant que la loi fût promulguée.

343.

« Lettre ouverte des évêques au premier ministre », Fides, 2 août 1978.

344.

« « La JOC est persécutée »… » (1978), op.cit., p. 7.