2-6 Dans les années 80, nouvelles répressions, nouvelles résistances

En 1981, un article de Fides 345 fait référence à Smangaliso MKHATSHWA, personnalité catholique qui sera l’un des symboles de la répression dont continue à souffrir l’Eglise catholique dans les années 80. Premier prêtre noir à devenir secrétaire de la Conférence épiscopale, il eu a subir plusieurs mesures gouvernementales visant à réduire ses libertés346. En octobre 1982, il est de nouveau placé en résidence surveillée pour 3 ans347et de nouveau arrêté le 2 novembre 1983 alors qu’il participe à une réunion avec des étudiants catholiques au sein de l’Université de Fort Hare348. Il sera libéré en mars 1984 :

‘« Un tribunal du Ciskei l’a reconnu innocent des accusations de subversion, d’incitation à la révolte et de réunion illégale 349  ».’

Dans la deuxième moitié des années 80, l’Eglise catholique aura encore à supporter de plusieurs mesures visant à la réduire au silence. En 1986, Fides fait mention d’une arrestation de prêtres et de missionnaires alors que l’état d’urgence, promulgué depuis juin 1986350, implique un sévère contrôle sur tout ce qui peut menacer de près ou de loin la sécurité de l’Etat :

‘« Et l’on parle encore d’autres membres du Clergé, des blancs et des noirs, qui ont été arrêtés dans le cadre d’une répression massive opérée contre les Communautés, les militants et les ecclésiastiques favorables aux changements pacifiques dans le système de l’apartheid en vigueur en Afrique du Sud 351  ».’

Une nouvelle campagne de répression qui touche en 1988 plusieurs organisations ou organes de presse. C’est le cas du journal catholique New Nation lors de l’emprisonnement sans procès de son rédacteur en chef en janvier 1988. Cet événement entraîna une vague de solidarité dans le monde entier menée par l’UCPI (Union Catholique Internationale de la Presse)352. Fides reproduit en mars 1988 une lettre pastorale dans laquelle les évêques sud-africains affirment leur volonté de faire en sorte que « la position de l’Eglise soit claire et sans équivoque » et réagissant contre les restrictions imposées à la liberté de la presse et à New Nation :

‘« En prenant leurs distances des opinions souvent publiées dans l’hebdomadaire catholique, les évêques réaffirment catégoriquement la nécessité que, dans un pays civilisé, il y ait une place pour le désaccord 353  ».’

Le bulletin de l’agence Fides est le principal organe de presse informant des difficultés de l’Eglise catholique sud-africaine face à la répression gouvernementale.

Si le système d’apartheid contraint l’ensemble de la société sud-africaine à vivre selon des principes de ségrégation, il a profondément touché les Eglises missionnaires anglophones, signe que ces Eglises ont été perçues par le gouvernement comme des adversaires réels au système d’apartheid354. Depuis la loi sur l’éducation bantoue de 1952 jusqu’aux grandes vagues de répression des années 80, les Eglises (et particulièrement l’Eglise catholique) eurent à mener un réel combat pour se maintenir auprès des populations bantoues. La presse catholique en particulier rendit compte régulièrement de ces difficultés et ne cessa de rappeler le courage de l’Eglise catholique parvenant à résister aux lois de l’apartheid et considérant que les lois politiques ne pouvaient pas l’emporter sur celles de l’Evangile.

La presse réformée s’est très peu penchée sur les problèmes rencontrés par les Eglises anglophones. Certes, les Eglises réformées (anglicanes, méthodistes…) n’adoptèrent pas la même attitude que l’Eglise catholique concernant le Bantu Education Act, mais on peut s’étonner de la persistance d’un tel silence, particulièrement dans les années 50. Il est alors légitime de se demander si cette absence d’informations dans la presse réformée symbolise un jugement des réformés français sur l’attitude de leurs « frères » sud-africains qui, sur le terrain, ne firent pas preuve de la même résistance que celle des catholiques sur la question de l’éducation. La presse réformée traitera davantage de la lutte des Eglises (particulièrement réformées) dans les années 80 alors que des figures majeures des Eglises réformées (Desmond Tutu, Alan Boesak) vont apparaître sur la scène médiatique pour condamner le système d’apartheid.

Si la presse catholique se fait donc majoritairement l’écho des déboires de l’institution, c’est légitimement la presse réformée qui assume et rapporte les mutations théologiques des puissantes Eglises réformées hollandaises révisant au fil de l’histoire leur soutien au régime d’apartheid.

Notes
345.

« Pour la première fois, un prêtre noir secrétaire de la Conférence épiscopale », Fides, n°3109, 3 juin 1981, NF 329.

346.

En effet, nombreux furent ceux à subir les effets de l’Internal Security Act de 1982 qui permettait au gouvernement d’interdire des organisations, de censurer des déclarations, de contrôler les rassemblements ou les manifestations, d’emprisonner sans obligation de jugement pendant une période qui pouvait aller jusqu’à 180 jours. 

Au moment de son élection à la tête de la Conférence épiscopale, M. Mkhatshwa est déjà en liberté « contrôlée ». Il avait été arrêté en août 1976 et détenu jusqu’à la fin de l’année. Il sera ensuite arrêté de nouveau en juillet 1977et sera emprisonné jusqu’en mars 1978.

347.

« Prolongation de la liberté surveillée pour le Père Mkhatshwa », Fides, n°3192, 16 octobre, 1982, NF 454.

348.

« Arrestation du secrétaire de la Conférence épiscopale », Fides, n°3262, 16 novembre 1983, NF 521. En effet, son bannissement lui interdisait notamment de sortir de chez lui et de se joindre à une assemblée.

349.

« Remise en liberté de l’Abbé Mkhatshwa », Fides, n°3290, 4 avril 1984, NF 201.

350.

En 1953, le Public Safety Act autorise le pouvoir à suspendre les libertés individuelles et à proclamer l’état d’urgence, tandis que le Criminal Law Act est amendé de manière à punir quiconque tenterait de transgresser les lois ou à soutenir un mouvement de contestation.

351.

« Dans le climat de tension, arrestation de prêtres et de missionnaires », Fides, n°3444, 12 juillet 1986, NF 358.

352.

« Solidarité de la presse catholique internationale avec « New Nation » », Fides, n°3534, 23 janvier 1988, NF 42.

353.

« Lettre épiscopale sur la violation des droits de l’homme », Fides, n°3548, 23 mars 1988, NF 162. Les évêques réagissaient aussi aux restrictions imposées à 17 organisations d’opposition dont le Front Démocratique Uni (UDF) qui avait été créé en 1983.

354.

A la suite de l’adoption du native Laws Amendment Bill de 1957, l’éditorial du journal afrikaner Die Transvaler du 27 février 1957 rend bien compte de cette « crainte » d’une résistance grandissante des Eglises chrétiennes anglophones au régime d’apartheid : « Aussi longtemps que des évêques ou des chanoines progressistes, des professeurs, des étudiants, des hommes politiques pourront librement aller tenir dans les églises des réunions interraciales, l’apartheid sera miné dans sa moelle » in A.M GOGUEL et P.BUIS, Chrétiens d’Afrique du Sud face à l’apartheid, op.cit., p. 43.