3-1 Recompositions autour du massacre de Sharpeville : la conférence de Cottesloe (1960)

Le premier grand bouleversement théologique arrive en 1960. Il est directement lié à un événement politique majeur de l’histoire de l’apartheid, le massacre de Sharpeville le 21 mars 1960 qui fit 69 victimes parmi une foule manifestant contre le port obligatoire du Pass. Cette tuerie déclencha, au sein des 3 Eglises hollandaises (NGK, NHK et GK) une série de débats sur l’incompatibilité de l’apartheid avec les principes de l’Evangile. Déjà, en novembre 1959, un article des Informations Catholiques Internationales rapporte une nouvelle prise de position au sein du journal afrikaner Die Kerkborde, déclarant que l’apartheid est incompatible avec une attitude chrétienne et « qu’il faudra que les chrétiens créent une atmosphère de confiance et de bonne volonté 356  ». Cette « crise de conscience » va se propager au sein des Eglises hollandaises un peu plus d’un an plus tard, au cours de la Conférence de Cottesloe en décembre 1960. Après les événements de Sharpeville (mars), le COE réagit et décide de réunir dans cette ville proche de Johannesburg 10 représentants de chacune des 8 Eglises protestantes d’Afrique du Sud affiliées au COE357, parmi lesquelles la NGK et la NHK358. Le rapport final met l’accent sur la condamnation de la ségrégation raciale aux seins des Eglises présentes et se prononce très clairement contre la justification biblique interdisant les mariages inter-raciaux359, dénonçant les effets de l’apartheid sur la famille, le travail migrant devenu obligatoire pour les populations noires obligées de se rendre en zones blanches. Il reconnaît aux populations noires établies en zone blanche, des droits de propriétés et de participation au gouvernement. Si les représentants de la NHK refusent d’adopter le rapport jugé trop libéral et en réaction, décident de quitter le COE en 1961360, il n’en est pas de même pour ceux de la NGK qui, en l’adoptant, rendent public leurs interrogations et la crise de conscience que leur Eglise traverse alors. La NGK incarnant jusqu’alors un pilier institutionnel fondamental de l’apartheid, ce « revirement » théologique entraîna une réaction du premier ministre Verwoerd qui, lors de son « message à la Nation » du 31 décembre, rappella à l’ordre les théologiens, les pressant de revenir sur les position de l’Eglise avant la Conférence. Ce rappel à l’ordre gouvernemental porte ses fruits puisque le synode de la NGK de l’année suivante rejette finalement le rapport de Cottesloe et décide de quitter le COE361.

La conférence de Cottesloe et ses conséquences n’occupent pas une grande place au sein de la presse chrétienne. En effet, les observateurs sont peu sensibles à cette nouvelle manifestation de l’immixtion du pouvoir politique dans les affaires de l’Eglise. Seul transparaît dans les Informations Catholiques Internationales l’échec relatif de la conférence de Cottesloe pendant laquelle l’unanimité concernant la condamnation de l’apartheid n’a pas pu être obtenue362, et la conclusion du rapport entraina le départ des Eglises hollandaises du COE363.

Cottesloe marque ainsi le premier événement marquant touchant les mutations théologiques traversant les Eglises hollandaises. Si l’échec de la conférence concernant la condamnation du système d’apartheid n’occupe pas une place importante dans la presse étudiée, la question de l’évolution de la NGK sera récurrente dans la presse chrétienne française durant les années 70.

Notes
356.

« Le journal de l’Eglise réformée publie un article contre l’apartheid qu’elle soutient d’habitude », ICI, n°107, 1er novembre 1959, p. 13.

357.

Les 8 Eglises sont : l’Eglise presbytérienne bantoue, l’Eglise anglicane, l’Eglise congrégationaliste, l’Eglise réformée néerlandaise au Transvaal, l’Eglise réformée néerlandaise du Cap, l’Eglise réformée néerlandaise d’Afrique, l’Eglise presbytérienne et l’Eglise méthodiste.

358.

Le projet d’une conférence s’élabore en mai 1960. Le but est d’organiser diverses discussions autour de la réalité de la situation en Afrique du Sud, de réfléchir au message de la Bible en matière de relations raciales, et d’aboutir à une action visant à la fin de la ségrégation raciale, selon les principes qui avaient été édictés lors de la Conférence du COE à Evanston (1954). Pour plus d’informations, voir « Lettre adressée le 12 mai 1960 par le COE aux dirigeants de ses 8 Eglises membres en Union sud-africaine », SOEPI, 20 mai 1960, n°19, p. 8-9-10.

359.

« Le document va jusqu’à reconnaître qu’il n’y a pas de fondement scripturaire à l’interdiction de mariages mixtes, bien qu’il puisse avoir lieu de déconseiller de telles unions », in « Ferme déclaration de la Conférence du COE en Afrique du Sud sur les relations interraciales », SOEPI, n°48, 23 décembre 1960, p. 3.

360.

« L’Eglise réformée néerlandaise au Transvaal se retire du COE », SOEPI, n°14, 14 avril 1961, p. 1.

361.

C’est le pasteur A.P. TREURNICHT, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Die Kerkbode qui convint les pasteurs de la NGK de la fausseté des thèses soutenues à Cottesloe en réaffirmant que « le seul moyen d’obéir à la loi divine est de laisser chaque nation exprimer sa propre identité dans le cadre du développement séparé, puisque chaque nation représente une entité spécifique résultant d’un ordre précis de Dieu qui a programmé sa structure interne particulière » in Marianne CORNEVIN,  L’apartheid, pouvoir et falsification historique, Paris, UNESCO, 1979, p. 37.

Vour aussi « Le synode du Cap et l’apartheid », SOEPI, 3 novembre 1961, p. 5.

362.

« Une seule Eglise a refusé de signer la déclaration contre la discrimination raciale », ICI, n°136, 15 janvier 1961, p. 14.

363.

« Une deuxième Eglise réformée néerlandaise quitte le COE », ICI, n°143, 1er mai 1961, p. 16.