4-1 Les émeutes de Sharpeville : les faits

Les émeutes qui éclatent le 21 mars 1960 sont l’aboutissement d’un climat de tension apparaissant à la fin des années 50 : imposition du Reference book, lois sur l’éducation, déplacements massifs de populations ont été autant de faits capables de cristalliser une contestation au sein de la population noire. Déjà en février 1959 ; des violences éclatent à Pretoria, à la suite d’une manifestation de femmes noires. Quelques mois plus tard, en juin, de nouvelles manifestations apparaissent, en réaction notamment à de nouveaux déplacements de populations. Sous les coups de la police, elles dégénérèrent en émeutes. Ces premières tensions eurent très peu d’échos dans la presse chrétienne française. Citons cependant un court article paru dans La Croix au titre évocateur et annonciateur des violences à venir, « le feu est sous la chaudière 405  ».

La contestation s’organise et se divise à la fin des années 50. Alors que l’ANC (Africain National Congress) incarne LE mouvement de contestation noire à l’apartheid depuis les années 20406, un mouvement plus radical naît en 1959, soucieux de rompre avec l’engagement multiracial de l’ANC407 et partisan d’une vision plus « africaniste » de la société sud-africaine. C’est la création du Pan Africanist Congress of Azania408 (PAC) par Robert Sobukwe et des membres de la Youth League 409 de l’ANC.

Loin de faire lutte commune, les 2 organismes vont organiser parallèlement manifestations, campagnes de contestation et de défiance. Alors que l’ANC prévoit d’organiser une manifestation anti-Pass 410 le 30 mars 1960, le PAC lance dix jours plus tôt une vaste campagne de défiance et l’organisation de marches pacifiques au Cap et dans plusieurs villes industrielles de la région du Witwatersrand. Le 21 mars, les manifestants se retrouvent devant le commissariat de Sharpeville, township noir situé dans la zone industrielle de Vereeniging au Transvaal afin d’y brûler leur Pass. Les policiers réagissent en tirant sur la foule, faisant 67 morts et près de 200 blessés411.

Photo 4 : Sud-Africains noirs brûlant leur
Photo 4 : Sud-Africains noirs brûlant leur Pass

Source : La Croix, 7 mai 1960.

Le 26 mars, Albert Luthuli412, président de l’ANC brûle publiquement son laissez-passer à Pretoria, suivi par des milliers de Sud-Africains. Quelques jours plus tard, le gouvernement décrète l’état d’urgence et dissout l’ANC et le PAC. Les 2 organisations sont forcées à l’exil, le PAC en Tanzanie et l’ANC en Zambie413.

Notes
405.

« Le feu est sous la chaudière », La Croix, 15-16 mars 1969.

406.

Le South Africain Native National Congress (SANNC) naît en 1912. Il deviendra l’Africain National Congress (ANC) en 1923.

407.

L’ANC et plusieurs autres mouvements de résistance (dont le parti communiste banni) formèrent le Congrès de l’Alliance (Congress of Alliance). En juin 1955, lors d’un congrès, 3000 délégués réunis à Kliptown (quartier de Soweto) adoptèrent une « Charte de la liberté » (26 juin 1955) exposant des principes de non-discrimination et instaurant un régime de droits et de libertés. D’un point de vue politique, la Charte s’inspirait de principes communistes (nationalisation, réforme agraire) avec de fortes teintes sociales (salaire minimum, couverture sociale). L’engagement de l’ANC sera donc qualifié de « chartiste », en opposition avec celui d’organisations plus radicales (comme le PAC) de mouvance « africaniste ».La Charte de la liberté est reproduite dans A. NOLAN : Dieu en Afrique du Sud, Paris, Le Cerf, 1991, annexe 1.

408.

L’Azanie est le nom qui fut choisi par plusieurs organisations anti-apartheid (dont le PAC) pour nommer une Afrique du Sud rendue aux Africains. Voir F.X FAUVELLE-AYMAR : Histoire de l’Afrique du Sud, op.cit., p. 42-43.

409.

Créée en 1944, la Youth League (Ligue de la jeunesse) regroupait au sein de l’ANC de jeunes militants jugeant l’action de l’ANC trop timorée et trop conciliante vis-à-vis du pouvoir blanc.

410.

En fait, depuis 1952, l’Abolition of Passes Act mettait fin au port obligatoire du Laissez-passer mais le remplaçait par le Reference book, document de 96 pages obligatoire pour tous les Sud-Africains noirs de plus de 16 ans. Le document contenait la mention du groupe racial, les empreintes digitales, la mention des employeurs et les jours et horaires d’autorisations de circulation en zone blanche.

411.

Une scène semblable aura lieu à Longa, dans la région du Cap.

412.

Albert Luthuli succéda à James Moroka à la tête de l’ANC en 1952.

413.

Le PAC tenta depuis Dar-es-Salaam d’organiser une guerre civile, en vain. L’ANC, après les événements de Sharpeville gagna le soutien de la communauté internationale et organisa un nouvel état major à Lusaka, avec à sa tête Oliver Tambo.