4-2 Place de l’événement dans la presse chrétienne française

En tant que tels, les événements de Sharpeville n’occupent pas une place considérable dans la presse française. Si la chronologie pure des violences est assez rarement rappelée, les émeutes de Sharpeville entraînèrent cependant, chez les observateurs français qui s’y intéressèrent, une prise de conscience de la situation de crise que connaît l’Afrique du Sud.

C’est le journal La Croix qui réagit le premier, 2 jours après le massacre, en présentant la cause des manifestations dans un article situé en première page :

‘« Afin de pouvoir contrôler de façon permanente sa vaste population noire – que ce soit pour éviter le chômage dû à un trop grand afflux de populations dans certaines régions, ou pouvoir prévenir les hausses du taux de criminalité qui pourraient en résulter- le gouvernement sud-africain insiste pour maintenir l’usage du laissez-passer 414  ».’

C’est donc bien l’usage du Pass (le terme Reference book n’est pas cité) qui est à l’origine des émeutes qui feront, selon l’article, 64 morts (67 morts en réalité) et plus de 200 blessés. L’auteur de l’article tient à préciser que les manifestants noirs ont riposté « aux tirs nourris » et relève « une certaine nervosité des indigènes 415  » 3 jours après les émeutes.

Un jour plus tard, un article au sous-titre alarmiste (« Est-ce la course à l’abîme ? 416  ») profite des événements de Sharpeville pour rappeler la réalité de l’apartheid, « un odieux racisme de droit divin mettant la population noire dans une situation intolérable où son violés tous les droits de l’homme : civiques, sociaux, économiques, familiaux, religieux… 417  ». Le massacre de Sharpeville sert donc d’occasion au journaliste pour rappeler aux lecteurs les réalités de l’apartheid. Lorsque le calme revient, il est qualifié « d’inquiétant […], imposé par des milliers de policiers armés et des dizaines de voitures blindées 418  ».

Début avril, La Croix revient sur le climat dans la région à la suite de la tuerie. Il rapporte également les propos de Mgr Hurley, archevêque de Durban, expliquant que cette issue dramatique était inévitable :

‘« Il y a quelques Africains qui peuvent formuler clairement leurs aspirations mais la grande masse voit seulement obscurément dans sa frustration et son humiliation les faits brutaux de l’arrogance insupportable de l’homme blanc et du fardeau intolérable de l’apartheid  419 ».’

Alors que La Croix ne juge pas utile de détailler les causes profondes des affrontements de mars, il n’est pas possible d’en savoir plus dans Le Journal des missions évangéliques qui « se contente » de relater avec lyrisme les déchirements que connaît le pays :

‘« Tous ceux qui ont lu le douloureux roman de Paton420 ou vu le film qui en a été tiré, connaissent l’atmosphère de crainte dans laquelle vivent Blancs et Noirs dans ce beau pays. Aussi, la nouvelle que des troubles ont éclaté dans plusieurs localités d’Afrique du Sud à ému le cœur de tous ceux qui aiment la mission. Que Dieu donne à tous la sagesse d’éviter les actes de violence dont les conséquences seraient cruelles 421  ».’

Si la présentation met l’accent sur le caractère émotionnel des événements, il est impossible, à la lecture de ce court article, de comprendre ce qui s’est réellement passé en Afrique du Sud : qui sont victimes ? Quelle est la cause des affrontements ? Combien de victimes ?...

Une photo accompagnant l’article montrant une scène de manifestations est la seule information concrète permettant de donner une idée aux lecteurs de la réalité des affrontements.

Notes
414.

« Une tension raciale en Afrique du Sud », La Croix, 23 mars 1960, 1ère page.

415.

Ibid.

416.

« Les graves événements d’Afrique du Sud : est-ce la course à l’abîme ? », la Croix, 24 mars 1960, p. 4.

417.

Ibid.

418.

« Dans une atmosphère lourde de menaces, la grève des noirs paralyse le pays », La Croix, 25 mars 1960, 1ère page.

419.

« Afrique du Sud : débat au conseil de sécurité », La Croix, 1er avril 1960, 1ère page.

420.

Alan PATON, Pleure, ô pays bien-aimé (Cry, the beloved country), Paris, Albin Michel, 1950, 316 p.

421.

« Troubles en Afrique du Sud », Journal des missions évangéliques, avril-mai 1960, n°3, p. 83.