5-2 Les émeutes, fruits de la misère et de l’oppression

Quelques articles cependant replacent les événements de Soweto dans leur contexte géographique, présentant ces quartiers urbains dans lesquels sont « parquées » les populations noires. Le township de Soweto453 en est la représentation la plus criante :

‘« Un million de noirs entassés, 2/3 sans électricité, « camp de concentration » selon l’expression du secrétaire américain au logement M Crawford où doivent revenir s’enfermer, le soir venu, les 200 000 ouvriers qui ont travaillé dans la luxurieuse cité blanche voisine de Johannesburg, c’en est trop… 454 ».’

Soweto qualifié de « camp de concentration », voilà qui montre bien le jugement horrifié porté sur l’apartheid et sur ses conséquences. Les émeutes de Soweto sont ainsi l’occasion pour les observateurs français de se pencher de nouveau sur les conséquences du système sur les populations, que ce soit au sein des bantoustans dans les zones rurales ou dans les townships, sortes de « cités-dortoirs 455  » pour travailleurs venus toucher des salaires de misère dans les villes blanches.

Joseph Limagne dans les Informations Catholiques Internationales recadre lui aussi les événements dans leur contexte géographique, une photo de Soweto (alignements de baraques à perte de vue) accompagnant l’article :

‘« Noirs ou métis, les townships se ressemblent tous : alignements monotones de maisons basses, que seuls les numéros peints sur les portes distinguent les une des autres. Au sud-ouest de Johannesburg, Soweto - un million d’habitants - regroupe plusieurs quartiers séparés par des terrains vagues et s’étend à perte de vue sur une surface aussi grande que la moitié de Paris. Aucun blanc ne doit y pénétrer sans autorisation spéciale 456  ».’

A la lecture de ce descriptif, il devient compréhensible qu’une émeute soit née dans un tel cadre géographique où vit parquée et conditionnée une population pauvre et rejetée des grands centres urbains, sauf lorsqu’il s’agit d’y « offrir » sa force de travail…

Plus d’une année plus tard, alors que l’Afrique du Sud traverse une nouvelle vague de répression457, les Informations catholiques internationales reviennent sur les émeutes de Soweto, rapportant l’expérience d’une chrétienne noire, Oshadi Phakathi458, forcée de quitter l’Afrique du Sud, fuyant la persécution et interrogeant Dieu sur la signification de tels événements :

‘« Après tout, ce dernier [le gouvernement] est aux abois et n’hésitera pas à provoquer toutes sortes de souffrances pour cacher les maléfices de son système. Ils nous jetteront en prison au seul énoncé de notre nom. Ca m’est arrivé du 16 au 18 juin 1976. Ils nous détiendront avec nos enfants comme si nous étions des serpents venimeux […]. Depuis le 16 juin, j’ai cherché la voie de Dieu et essayé de l’écouter. Non pas que je ne l’aie jamais fait avant, mais le 16 juin est une date particulière pour moi. Une date que je ne pourrai jamais oublier !  459 ».’

Les émeutes de Soweto ont donc été vécues par les chrétiens sud-africains comme un véritable tournant dans l’histoire de l’apartheid, un point de non-retour, une abominable illustration du caractère profondément violent et répressif du gouvernement de Pretoria. Les violences infligées à des adolescents entraînèrent de véritables interrogations et une prise de conscience chez les chrétiens sur la nécessité et le devoir de se positionner clairement du côté des opprimés.Une question reste en filigrane, posée par Oshadi Phakathi, en légende d’une photo montrant une scène de répression armée : « peut-on remercier Dieu d’avoir été coffré ? 460  ». La question reste sans réponse, signe que l’interrogation autour de la présence de Dieu (posée à d’autres moments tragiques de l’histoire du XXème siècle) s’est posée au moment de Soweto comme jamais auparavant en Afrique du Sud.

Notes
453.

Soweto est l’acronyme de South-Western Township. Immense quartier noir, il fut formé dans les années 60 à la suite de la destruction, en vertu du Group Area Act, du quartier de Sophiatown en 1955-1957. Les habitants furent relogés de force dans la location de Meadowlands embryon de ce qui deviendra Soweto. Situé à une trentaine de kilomètres de Johannesburg, l’immense « ville » noire se compose de milliers d’habitations « boîtes d’allumettes » identiques, préfabriquées, alignées sur des dizaines de kilomètres.

454.

Noël DARBROZ, « La révolte noire en Afrique du Sud », La Croix, op.cit., 1ère page.

455.

Noël DARBROZ, « La rencontre Kissinger-Vorster et l’explosion de la poudrière sud-africaine », La Croix, 24 juin 1976, p. 3.

456.

Joseph LIMAGNE, « Afrique du Sud : le racisme aux abois » (1977), op.cit., p. 34.

457.

En effet, après la mort de Steve Biko en septembre 1977, une vague de répression s’abat en octobre sur les organisations affiliées à la Conscience noire. Cette compréhension des événements sera étudiée dans la partie suivante.

458.

Oshadi Phakathi a dû fuir l’Afrique du Sud après les événements de juin 1976 pour se réfugier en Europe. Elle était présidente de la Conférence sud-africaine des Eglises et directrice de l’institut chrétien pour le Transvaal.

459.

Oshadi Phakathi, « Pourquoi j’ai fui l’Afrique du Sud », ICI, n°519, 15 octobre 1977, p. 22.

460.

Ibid.