5-5 Soweto comme un tournant dans l’histoire de l’apartheid : plus rien ne sera comme avant… 

La Résolution 392 adoptée le 19 juin 1976 par le Conseil de sécurité des Nations Unies, la déclaration du Comité central du COE en septembre et la prise de conscience populaire des horreurs engendrées par l’apartheid sont les preuves d’une nouvelle prise en considération de la question sud-africaine. Face à la gravité de la situation mise en évidence par la presse, les Eglises sud-africaines mettent en place une certaine forme de lutte qui sera relayée dans Réforme 475 notamment. Constatant que la population noire sud-africaine ne supporte plus l’état de soumission dans lequel elle est placée en vertu des lois de l’apartheid et que la révolte est devenue inévitable, les observateurs ont tous conscience que Soweto marque un véritable tournant. Les yeux du monde sont maintenant tournés vers l’Afrique du Sud et une présentation « édulcorée » de l’apartheid et de son but ultime n’a plus de place dans les colonnes des journaux chrétiens dans la période de l’immédiat « après-Soweto ». Pour Joseph Limagne dans les Informations Catholiques Internationales, cette propagande ne peut plus fonctionner après les émeutes, malgré les efforts du gouvernement sud-africain :

‘« Avant les événements de juin dernier, Soweto faisait la fierté de l’administration bantoue. Les touristes le visitaient en autocar. Maintenant, bien peu s’y risqueraient. Cependant, le ministère de l’information accepte volontiers d’y accompagner un journaliste. On lui montre l’hôpital moderne, le parc de loisirs, le stade de rugby, les villas coquettes du quartier « chic », où habitent des médecins et hommes d’affaires noirs (il y en a…) 476  ».’

Joseph Limagne ne manque pas de souligner, par la suite, que la majorité des maisons n’a pas l’eau courante et que 20% d’entre elles sont reliées au réseau d’électricité…

Alors que c’est l’imposition de l’afrikaans dans le domaine éducatif qui a été l’étincelle au déclenchement des émeutes, il est intéressant de constater que l’information concernant la fin de cette décidée par le gouvernement en juillet 1976 n’aura pratiquement aucune répercussion dans la presse chrétienne française étudiée477.

Le bilan des émeutes à partir du 16 juin 1976 fut lourd : même si les pertes humaines sont difficiles à chiffrer, il semblerait que plus de 800 Noirs aient perdu la vie durant les émeutes. Symbole de ces massacres, une photo restera au sein de la mémoire collective et fera le tour du monde, celle du corps inerte d’Hector Peterson, écolier de 13 ans, première victime de la répression policière le 16 juin478. Cette photo ne figurera cependant pas dans la presse chrétienne française étudiée. Soweto installe bien la question de l’apartheid au rang des préoccupations internationales. Si des journaux paraissant quotidiennement comme La Croix dressent le bilan presque quotidien des émeutes, d’autres (Réforme, ICI) vont s’attarder sur les conséquences à plus long terme de tels événements, informant de l’aggravation de la situation. Enfin, il est important de noter que les émeutes de Soweto ne trouveront pas ou très peu d’écho dans d’autres journaux réformés comme Le Christianisme au XXème siècle ou le Journal des missions évangéliques. Des silences identiques sont à relever dans la Documentation catholique (absence de déclarations épiscopales ou papales). Les bulletins de l’agence Fides se « contentent », quant à eux, de reproduire une déclaration des Oblats de Marie l’Immaculée basés à Soweto et vivant dans la crainte depuis le début des émeutes. Cette dernière, datée du 21 juin, dénonce clairement les violences policières et réclame des changements urgents dans le système actuellement en place et source de violence479.

Si les événements de Soweto resteront dans l’histoire, c’est au fil des ans que l’événement symbole, symbole de la lutte contre l’apartheid, entrera dans la mémoire collective mondiale.

A partir de 1976, et malgré les condamnations internationales et les mobilisations, le gouvernement sud-africain enferme le pays dans un isolement jugé seul capable d’éviter un « assaut généralisé » des mouvements noirs proches du marxisme480

A la fin de l’année 1976, la politique de répression est étendue vers tous ceux qui, de près ou de loin, feront preuve de sentiments révolutionnaires, entraînant plusieurs milliers d’arrestations481. Ce sont les organismes proches de la Conscience noire qui vont subir de plein fouet les conséquences du renforcement de cette politique répressive. De cette répression, naîtra une figure résistante primordiale, celle de Steve Biko.

Notes
475.

Daisy de LUZE, « Les Eglises dans la lutte anti-apartheid », Réforme, 25 septembre 1976, p. 16.

476.

Joseph LIMAGNE, « Afrique du Sud : le racisme aux abois », op.cit., p. 34.

477.

Voir cependant le court article « L’afrikaans ne sera plus obligatoire », La Croix, 7 juillet 1976, p. 5.

478.

Cette photo reste encore aujourd’hui en Afrique du Sud le symbole des émeutes de Soweto et plus globalement de la violence d’un régime qui s’attaqua à une population d’enfants et d’adolescents. Le nom d’Hector Peterson fut donné après l’apartheid à un mémorial de l’apartheid situé à Soweto.

479.

« Les OMI et les violences de Soweto », Fides, n°2760, 11 août 1976, NF382.

480.

La violence de la répression au moment de Soweto et des émeutes qui suivirent durant tout l’été 1976 entraînèrent une nouvelle vague de mobilisation chez la population noire. Plusieurs jeunes s’engagèrent dans l’ANC et dans les rangs de l’Umkhonto we Sisze, partant dans les camps d’entraînement situés en Angola ou au Mozambique. A partir de 1976, la « Lance de la Nation » organise plusieurs actes de terrorisme menés contre des bâtiments ou symboles gouvernementaux. Exemple de cette politique de guérilla, une bombe sera placée sur le chantier de la centrale de Koeberg en décembre 1981.

481.

En 1976, l’Internal Security Amendment Act renforce la sécurité interne du pays et, d’après le ministre de la justice James Krüger, est dirigé contre « les communistes, les leaders politiques noirs, les mouvements religieux radicaux et contre tous ceux qui cherchent la révolution » in P.COQUEREL, L’Afrique du Sud des Afrikaners, op.cit., p. 239.