6-2 Après la mort de Steve Biko, les questionnements de la communauté internationale

C’est le journal Réforme qui répercute le premier la mort de Steve Biko495 en reproduisant la déclaration du COE faite à cette occasion : « Après le meurtre de Steve Biko 496»… Ce titre démontre bien que pour le journal, aucune ambiguïté n’existe sur les circonstances de la mort de Steve Biko. Il est intéressant, à ce propos, de noter que Le christianisme au XXème siècle reproduit la même déclaration tout en proposant le titre moins affirmatif suivant : « Après la mort du leader noir sud-africain Steven Biko 497».

En reproduisant cette déclaration du secrétaire général du COE, les deux journaux réformés traduisent bien une volonté commune de dénoncer les effets d’une répression policière. En effet, alors que la police sud-africaine s’attacha à affirmer que Steve Biko était mort en cellule d’une manière accidentelle, la déclaration du COE réclame qu’une enquête soit menée sur les raisons exactes de cette mort. Pour Philip Potter, secrétaire général du COE, aucun doute n’est possible, même si la déclaration parle (peut-être cyniquement) d’une « mort inexpliquée » :

‘« M Biko a été la victime de la politique systématique de torture et de meurtre qui est appliquée actuellement aux détenus politiques de ce pays […]. Il a été officiellement réduit au silence par les lois restrictives de 1973. Il a été clandestinement et tout aussi sûrement mis à mort en 1977 […]. Les dénégations officielles cyniques que nous avons entendues jusqu’à maintenant en ce qui concerne la culpabilité officielle ne font qu’augmenter la cruauté de l’acte 498  ».’

La dernière partie concernant la dénonciation d’une « culpabilité officielle » ne figure pas dans la déclaration reproduite dans Le christianisme au XXème siècle qui présente ainsi une version réduite de la déclaration…

Alors que la répression policière s’exerçait jusqu’alors sur des populations « anonymes », il n’en est plus de même en septembre 1977. La victime est le chef de file d’un mouvement, le symbole dans le monde de la lutte contre l’apartheid, « une des voix les plus autorisées du pays en vue d’un changement non-violent » :

‘« En sa qualité de président honoraire de la Convention du peuple noir et de fondateur du Mouvement de la conscience noire, Mr Biko a été le symbole de l’espérance de l’Afrique du Sud pour un avenir juste et paisible. Son message qui prônait le changement politique dans la dignité des noirs, sans effusion de sang, lui avait gagné le respect international 499  ».’

Steve Biko apparaît alors déjà bel et bien comme le symbole de toutes les victimes de la répression qui fait rage en Afrique du Sud500.

Les Informations Catholiques Internationales rappellent, quant à elles, que « Steve Biko est, en dix-huit mois, le vingt-et-unième détenu politique à mourir dans des conditions suspectes entre les mains de la police 501  ». Signe encore que l’homme bénéficiait d’un important charisme à l’étranger, l’article se contente de le présenter comme le fondateur de la SASO, militant ayant acquis « l’étoffe d’un futur Premier ministre 502  ». 2 mois plus tard, Joseph Limagne dans les ICI livre son ressenti sur les circonstances de la mort de Steve Biko :

‘« Aux audiences convoquées pour éclaircir les circonstances de sa mort, la police a expliqué qu’il préparait la révolution. Les tracts subjectifs présentés comme preuve et qu’il aurait distribués lui-même sont datés…d’après son décès […]. Ses geôliers ont reconnu qu’ils l’avaient maintenu nu dans sa cellule pendant 19 jours, puis « interrogé » pendant cinquante heures pieds et poings enchaînés […]. Qui sont, où sont les terroristes 503  ? ».’

L’accusation faite à la police est nette et sans détour. Cette position sera d’ailleurs la même chez tous les observateurs chrétiens français. La Croix, relate les circonstances de la mort puis introduit subtilement un fait qui sème le doute concernant une éventuelle responsabilité de la police :

‘« Steve Biko […] a succombé après sept jours de grève de la faim en prison. Arrêté pour avoir participé à une tentative de distribution de tracts « incitant à la violence ». M Kruger [ministre de la justice] a donné une version en contradiction avec sa première déclaration. Il affirme que Biko a succombé après avoir été alimenté de force par perfusion504 ».’

Un mois plus tard, une information brève dans le même journal rapporte ses conditions de détention : maintenu nu dans sa cellule, « ne pouvant plus parler de façon cohérente après avoir été « maîtrisé » par des policiers au cours d’un interrogatoire 505  ». L’article précise enfin que l’autopsie a révélé un traumatisme crânien.

Dans son numéro des 30-31 octobre 1977, La Croix signale l’ouverture de l’instruction judiciaire afin d’éclaircir les circonstances de cette mort devenue « indélébile stigmate pour Pretoria 506  ». En février 1978, Bruno Chenu, dans un article de La Croix, parle du climat de répression et du « meurtre camouflé de Steve Biko 507», montrant encore une fois qu’il est impossible de croire à une mort accidentelle. Le doute n’existe donc pas.

La Croix rend également compte d’une messe célébrée à Paris le 4 octobre 1977 en mémoire de Steve Biko et organisée par le CCFD et la commission « Justice et Paix ». Cet événement parisien témoigne bien de la mobilisation et de la prise de conscience du monde entier à l’occasion de cette mort, celle-ci symbolisant « l’histoire douloureuse de l’oppression de son peuple, toute la réalité cruelle de la domination blanche 508  ».

Notes
495.

Interpellé en août 1977, Steve Biko mourut un mois plus tard, dans sa cellule, d’une hémorragie cérébrale causée par la violence de ses geôliers.

496.

Philip A. POTTER, « Après le meurtre de Steve Biko », Réforme, n°1696,24 septembre 1977, p. 16.

497.

« Après la mort du leader noir sud-africain Steven Biko », Le christianisme au XXème siècle, n°38,10 octobre 1977, p. 7.

498.

« Après le meurtre de Steve Biko », op.cit., p. 16.

499.

Ibid.

500.

En vertu de l’Internal Security Act de 1976, plusieurs milliers de personnes furent emprisonnés à partir de 1976 dans des conditions particulièrement dures. Entre mars 1976 et novembre 1977, près d’une centaine de prisonniers trouvèrent la mort en détention, à la suite de sévices infligés par les forces de police. Chiffres donnés par P.COQUEREL, L’Afrique du Sud des Afrikaners, op.cit., p. 239.

501.

« Pourquoi j’ai fui l’Afrique du Sud », op.cit., p. 22.

502.

Ibid.

503.

Joseph LIMAGNE, « Afrique du Sud : « il ne reste que les Eglises pour lutter » », ICI, n°521, 15 décembre 1977, p. 17.

504.

« 1300 étudiants noirs arrêtés en Afrique du Sud », La Croix, 17 septembre 1977, p. 7.

505.

« Des précisions sur la mort de Steve Biko », La Croix, 16 novembre 1977, p. 7.

506.

Aymon FRANCK, « la mort de Steve Biko », La Croix, 30-31 octobre 1977.

507.

Bruno CHENU, « Les fondements théologiques de l’apartheid », La Croix, 19-20 février 1978.

508.

«L’appel d’un évêque à la conscience des blancs d’Afrique du Sud », La Croix, 7 octobre 1977, p. 10.