7-2 La nouvelle constitution de 1983

Bien que le projet d’une nouvelle Constitution ait été présenté par Pieter Botha dès août 1979, la presse chrétienne française n’en fait pas immédiatement référence d’une manière précise. Le projet d’une nouvelle Constitution est adopté par référendum (réservé aux Blancs) en novembre 1983536. Pourtant, c’est véritablement à partir de sa mise en vigueur en septembre 1984 que les observateurs réagissent à son contenu politique537. Le quotidien La Croix fait une courte référence à la future constitution dans un article en février 1984, se contentant de préciser les séparations politiques prévues entre Indiens, Métis et Noirs538. Dans les faits, la nouvelle Constitution prévoit en effet la création de 3 chambres dans lesquelles siégeraient députés blancs (178), métis (85), et indiens (45). Chaque communauté élit ainsi ses propres représentants proportionnellement au nombre de sa population et chaque chambre délibère sur les affaires touchant sa propre communauté. Le chef d’état désigne 5 représentants dans chacune des chambres.

Dès août 1984 et à l’approche des élections législatives, la presse s’empare du sujet, relevant les contradictions et les lacunes de la nouvelle Constitution. La critique majeure porte bien sûr sur « l’oubli » fait aux 20 millions de Noirs, toujours interdits de représentation politique et de droit de vote. Quelques semaines avant les élections de septembre 1984, c’est la communauté internationale qui réagit : l’ONU ne reconnaît pas la Constitution, et les élections prévues sont déclarées nulles et non avenues539. A l’approche des élections, une résistance intérieure s’organise, appelant les électeurs indiens et métis à boycotter les élections. C’est l’UDF (United Démocratic Front), parti d’opposition crée en 1983 qui orchestre la campagne d’opposition. Grande plate-forme politique d’inspiration multiraciale et chartiste, l’UDF regroupe plus de 700 organisations anti-apartheid540 émanant d’organisations locales d’entraide, de syndicats ou d’institutions religieuses541. La Croix propose un article de fond le 24 août 1984, mettant en évidence les lacunes de la nouvelle Constitution (30% des Métis se sont déplacés pour participer au vote) et reproduit une déclaration de Mgr Hurley (archevêque de Durban) qui qualifie les élections de « faible substitut à une véritable évolution démocratique en Afrique du Sud 542  ». Mais c’est surtout l’interview d’un diplomate sud-africain qui donne un bon éclairage sur les raisons politiques d’une telle Constitution. A la question du journaliste « Pourquoi avoir exclu les Noirs et réservé aux autres non-Blancs le droit d’ouvrir leur Parlement ? », la réponse est claire :

‘« Parce que les Métis et les Indiens, qui n’ont pas de territoire propre, avaient un statut politique en retard par rapport à celui des Noirs 543  ».’

Le diplomate légitime la réforme constitutionnelle et les « efforts » faits en direction des Métis et des Indiens en replaçant cette évolution dans le contexte du « grand apartheid » et en adoptant la logique idéologique proposée par le gouvernement de Pretoria : la population noire bénéficie de droits politiques au sein de chaque bantoustan, il n’y a donc pas lieu qu’ils jouissent de droits dans la vie politique de l’Afrique du Sud, pays qui n’est plus le leur... Et le diplomate se hâtant de préciser que « ces bantoustans ont des ressources et un niveau de vie supérieur à celui de bien d’autres Etats africains 544  »…

Quant au sort des Noirs habitant dans les zones urbaines, le diplomate annonce « qu’une porte reste ouverte 545».

Il est intéressant de constater que cette période de réformes (à l’égard du statut des Indiens et des Métis) déstabilisa, dans une certaine mesure, des observateurs pourtant très critiques à l’égard du système d’apartheid mais reconnaissant qu’une évolution est bien visible dans le pays :

‘« On peut se demander dans quelle mesure la solution bantoustan condamnable dans sa formule actuelle, ne deviendrait pas viable dans l’hypothèse d’une Confédération sud-africaine multiraciale, s’inspirant du système des cantons helvétiques […]. Une évolution est en cours en Afrique du Sud. Comment hâter cette évolution en tenant compte de toutes les données est une bonne question. Les racines de l’apartheid sont trop profondes et trop anciennes pour que cette évolution se fasse rapidement, à moins d’une révolution qui tournerait au bain de sang et à la ruine de ce pays prospère 546  ».’

Mais l’Afrique du Sud n’est pas la Suisse et les statuts accordés à chaque groupe restent profondément inégaux…

Notes
536.

Le projet de Constitution fut approuvé à 65,95% (avec une participation de 76,5%)

537.

Dans le cadre de la mise en place de la nouvelle Constitution en septembre 1984, Pieter Botha devient le premier président de la République associant les prérogatives de chef de l’Etat et les pouvoirs de chef de gouvernement. Il dispose ainsi de pouvoirs décisionnels accrus comme la proclamation de l’état d’urgence.

538.

J.FICATIER, « Apartheid quotidien », La Croix, 19-20 février 1984, p. 2.

539.

« La Constitution et les élections condamnées par l’ONU », La Croix, 21 août 1984, p. 5. Il s’agit de la Résolution 554 adoptée le 17 août 1984 à 13 voix contre 0 et avec 2 abstentions (Etats-Unis et Grande-Bretagne).

540.

Différentes personnalités seront le moteur du Front démocratique uni. Citons par exemple Allan Boesak et Desmond Tutu.

541.

« Un parlement pour les métis sud-africains », La Croix, 22 août 1984, p. 5.

542.

Noël DARBROZ, « Les élections en Afrique du Sud : les Métis votent, l’apartheid reste », La Croix, 24 août 1984, 1ère page.

543.

Noël DARBROZ, « Entretien avec un diplomate sud-africain : la porte reste ouverte aux Noirs », La Croix, 24 août 1984, p. 3.

544.

Ibid.

545.

Ibid.

546.

Noël DARBROZ, « Une confédération multiraciale ? », La Croix, 24 août 1984, p. 3.