7-6 Soubresauts politiques, émeutes…

L’année 1989 s’ouvre par une mutation politique, l’arrivée à la tête de l’état de Frederik De Klerk589 :

‘« Pour beaucoup maintenant, il est l’homme fort qui a débarrassé le pays du « fantôme Botha » et nombreux sont ceux qui lui en sont reconnaissants. Cela ne veut pas dire que De Klerk changera radicalement de politique et mettra fin à l’apartheid rapidement : pour beaucoup, cet Afrikaner, ancien avocat, n’est que l’héritier de Botha  590 ».’

Quelques semaines plus tard, au moment des élections de septembre 1989, Paskal Chelet laisse apparaître un certain optimisme, parlant d’un climat de « détente 591  ». Elle constate une certaine évolution dans le contenu du discours du gouvernement, ce dernier comprenant que la discrimination doit être supprimée et qu’aucune alternative n’est possible :

‘« N’avait-on pas quelque peu oublié ces derniers mois le « petty apartheid » qui régit le quotidien des Noirs et des Métis ? 5000 Indiens et Noirs ont envahi une plage de la côte sud-est du pays réservée par la loi aux seuls Blancs […]. Cet apartheid là survit toujours malgré, il faut le souligner, de nombreux aménagements 592  ».’

Un nouvel article de La Croix rend compte du résultat des élections du 6 septembre 1989. Si le Parti national a une nouvelle fois remporté les élections, il enregistre son score le plus faible depuis son arrivée au pouvoir, au profit du parti conservateur mais aussi d’un parti démocrate qui fait « le plein de voix dans les quartiers des milieux intellectuels et d’affaires de Johannesburg et de la région du Cap 593  ».

Paskal Chelet rend également compte d’un regain de contestation dans ce contexte électoral : boycott des élections par les Métis et les Indiens, grève massive lancée par le syndicat COSATU et le MDM (Mouvement Démocratique de Masse), regroupant les organismes anti-apartheid qui formaient l’UDF.

Mais alors que l’Afrique du Sud semble s’acheminer vers une société sans apartheid, les observateurs français rendent compte d’une réalité toujours tragique dans les quartiers noirs : 23 morts lors des affrontements annoncés dans La Croix et Desmond Tutu déclarant : « nous sommes au bord de la catastrophe 594»…

Rien ne semble pouvoir arrêter l’immense vague de contestation qui apparaît dans tout le pays. Au mois de septembre, les premières manifestations multiraciales sont autorisées à Johannesburg et au Cap595. De Klerk annonce l’ouverture des plages à tous596, geste symbolique qui marque le début d’un plan sur 5 ans proposé par le Parti National qui aboutira à l’établissement d’une véritable démocratie et à la participation à la vie politique de tous les Sud-Africains.

Des espoirs naissent ainsi chez les observateurs en cette fin d’année 1989. Les mutations politiques donnent l’occasion à Julia Ficatier de revenir sur les applications du Group Area Act ayant comme effetsdes classifications de populations aléatoires... La journaliste parle des réformes prévues et des premières zones dans lesquelles coexistent des groupes raciaux différents :

‘« Sans doute le gouvernement sud-africain est-il en train d’essayer de sortir de ce casse-tête par un biais législatif […]. Le gouvernement va légaliser ce qu’on appelle les « zones grises » […]. Les Noirs se sont donc installés, à Hillbrow et à Mayfair, en plein cœur de Joburg, dans des appartements libres, vivant aux côtés des Blancs, quelquefois non sans mal 597  ».’

Le 2 février 1990, Frederik De Klerk prononce le « discours du Rubicon » qui n’avait pas eu lieu en 1985. Le président annonce la libération des prisonniers politiques non coupables de crimes de sang, la légalisation de toutes les organisations dissoutes598, la suspension de la peine de mort. Dans son édition du 17 octobre 1989, La Croix 599 relate la libération et le retour à Soweto de Walter Sisulu, compagnon d’emprisonnement de Nelson Mandela arrêté en 1964. Cette libération montre, quelques mois avant la légalisation de l’ANC (février 1990), la volonté du gouvernement de reconnaître la valeur de la résistance du mouvement noir anti-apartheid. Le 11 février, Nelson Mandela quitte la prison Victor Verster, à Paarl600, sa libération symbolisant la mort d’un système en place de puis 43 ans601.

Notes
589.

Botha malade avait démissionné de la présidence du Parti National tout en désirant rester à la tête de l’état. Lorsqu’il annonça son retour après sa période de convalescence en mars 1989, le parti réagit, considérant que Botha était devenu un obstacle et empêchera le pays de sortir de l’impasse. Le parti, réuni le 13 mars, adopta une motion demandant que Frederik de Klerk devienne président jusqu’aux élections anticipées de l’automne 89. Désavoué, Botha démissionna de la présidence le 14 août.

590.

Paskal CHELET, « De Klerk aux commandes », La Croix, 17 août 1989, p. 5.

591.

Paskal CHELET, « Un vote encore sous apartheid », La Croix, 6 septembre 1989, p. 2-3-4.

592.

Ibid.

593.

Paskal CHELET, « Les « blancs » pour la politique de réforme », la Croix, 8 septembre 1989, p. 4.

594.

Paskal CHELET, « Le Cap compte ses morts », La Croix, 9 septembre 1989, p. 5.

595.

« Une première en Afrique du Sud : des marches anti-apartheid officiellement autorisées », ARM, n°71, 15 octobre 1989, p. 8.

596.

Paskal CHELET, « Afrique du Sud : les plages en noir et blanc », La Croix, 18 novembre 1989, p. 6.

597.

Julia FICATIER, « Blanc, Noir, Métis, chacun chez soi », La Croix, 18 octobre 1989, p. 4.

598.

Julia FICATIER, « La porte ouverte », La Croix, 3 février 1990, p. 5.

599.

Julia FICATIER, « Retour dans un Soweto déchiré », La Croix, 17 octobre 1989, p. 1 à 3.

600.

La portée de la personnalité de Nelson Mandela sera abordée dans le chapitre suivant.

601.

Le 15 octobre 1990, le Parti National abrogea le Separate Amenities Act qui définissait les règles de l’apartheid mesquin depuis 1953. Les dernières grandes lois de l’apartheid furent abrogées entre mars et juin 1991, avant l’entrée dans une phase nouvelle qui sera celle des négociations.