1-6 La lettre pastorale de juillet 1986

La lettre de 1986 est symptomatique du souci des évêques de trouver des moyens concrets de lutte contre le système et de contester l’autorité d’un gouvernement raciste. Les évêques soulignent la gravité de la situation et pensent que la seule solution pour changer le système reste les pressions économiques, précisant bien que cette position ne fait pas l’unanimité au sein de l’institution :

‘« Nous vous invitons maintenant, vous, le peuple de Dieu, à réfléchir sur ce que nous venons de dire. Les uns le jugeront inadéquat, les autres profondément troublant. Nous vous prions de ne pas porter de jugements hâtifs sur ce problème […]. En tant qu’évêques, nous vous demandons d’intensifier la campagne de prières pour la justice et la paix, et l’observance d’une journée spéciale de prière et de jeûne le 1er vendredi de chaque mois 686  ». ’

Cette déclaration épiscopale témoigne bien d’un certain « malaise » au sein de l’Eglise catholique confrontée à des interrogations sur la légitimité morale du recours aux pressions économiques. Bien qu’apportant le soutien à des pressions économiques comme formes de protestations non-violentes, les évêques préconisent la réflexion et la recherche permanente de justice. Une autre lettre diffusée le même jour réaffirme l’engagement des évêques :

‘« Nous ne sommes pas neutres dans le conflit actuel en Afrique du Sud. Nous soutenons pleinement les requêtes de justice de la majorité des gens. C’est notre soucis d’atteindre rapidement ce but qui nous a conduit a soutenir l’emploi des pressions économiques pour y parvenir  687 ».’

La documentation catholique a reproduit dans sa totalité la lettre pastorale de 1986. Il est pourtant difficile de savoir quelle fut la portée de ces textes institutionnels en France. En effet, encore une fois, la presse plus généraliste ne les répercute pas ou se contente d’y faire référence sans s’attarder sur leur contenu. Dans les Actualités Religieuses dans le Monde, Bertrand de Luze s’arrête sur un événement témoignant de l’engagement réel de l’Eglise catholique, bien au-delà des lettres pastorales : les 15 et 16 avril 1986, des délégués de la Conférence épiscopale conduits par Mgr Hurley rencontrent à Lusaka (Zambie) une délégation de l’ANC menée par Oliver Tambo. Bertrand de Luze présente la conclusion de la rencontre et retient que la position des évêques vis-à-vis du recours à la violence est plutôt ambiguë :

‘« Il incombe à l’Eglise catholique de mobiliser les fidèles blancs, non seulement pour rejeter l’apartheid dans son principe, mais aussi pour entreprendre des actions spécifiques contre ce système […]. Les Eglises […] disent avec force que toute violence n’est pas légitime, mais elles sont obligées de constater que les réformes proposées par le gouvernement aboutissent à un renforcement de l’apartheid structurel qui est une forme très brutale de violence […]. Les évêques comprennent pourquoi les Noirs ont recours à la violence mais en conscience ne soutiennent pas la violence  688 ».’

La dernière lettre pastorale proposant divers exemples de contribution à la résistance (jeûne, mise en place d’un système de salaires équitables…) est donc bien éloignée de « simples » condamnations théoriques mais ces solutions apportées par les évêques ne retiennent pas l’attention de Bertrand De Luze689.

D’une manière générale, les lettres pastorales reproduites dans La documentation catholique ont sans doute servi à informer l’Eglise catholique française du travail et de l’implication de l’institution homologue sud-africaine. Ces lettres auront ainsi un impact certain sur des évêques qui, individuellement ou au sein de diverses commissions (« Justice et Paix »), soutiendront et défendront le combat des évêques contre la discrimination.

Notes
686.

« La pression économique et la justice » (lettre pastorale des évêques d’Afrique du Sud) , La documentation catholique, n°1922, 20 juillet 1986, col 699.

687.

« Espérance envers et contre tout » (lettre pastorale des évêques d’Afrique du Sud), La documentation catholique, n°1922, 20 juillet 1986, col 699.

688.

Bertrand DE LUZE, « En Afrique du Sud, les chrétiens n’ont plus le choix », op.cit., p. 16.

689.

L’Etat d’urgence (en juin 1986) sera promulgué quelques semaines après la lettre pastorale (en mai). En réaction, la Conférence épiscopale enverra un « message urgent » au Président de la République en août 1986 dénonçant la mise en place de l’Etat d’urgence et demandant le démantèlement total de l’apartheid. L’article de Bertrand de Luze a été écrit avant l’envoi par les évêques du « message urgent ».