1-8 1988 : Nouvelles protestations sud-africaines et réponses françaises

Année de l’encyclique Sollicitudo Rei Socialis, 1988 est une étape importante dans l’élaboration d’un nouveau discours sur la question sociale dans l’Eglise. Il est naturel que l’encyclique soit lue avec grand intérêt par les évêques sud-africains et adaptée à la situation propre du pays qui se retrouve, 10 ans après les émeutes de Soweto, dans une situation de violence extrême.

Dans une nouvelle lettre pastorale, les évêques réagissent après l’interdiction de plusieurs organisations anti-apartheid et lancent « un appel au nom de Dieu à ceux qui ont le pouvoir et à ceux qui les soutiennent directement ou par omission 694  ». La documentation catholique reproduit, dans le même numéro que celui dans lequel parait la déclaration, la protestation du Cardinal Decourtray qui se joint à celle de la Conférence épiscopale sud-africaine et qui soutient « des aspirations légitimes qui sont issues des droits que Dieu donne à tout homme 695  ». Plusieurs passages de la lettre témoignent de la volonté incessante des évêques de clarifier la nature de leur engagement, soucieux d’aborder avec précaution un combat que certains, au sein de l’institution catholique, considèrent comme non légitime lorsqu’il émane d’hommes d’Eglise :

‘« L’intervention de l’Eglise ne peut pas être considérée comme une ingérence politique mais plutôt comme un acte nécessaire de son ministère pastoral 696  ».’

Les Actualités Religieuses dans le Monde persistent, quant à elles, à présenter la mobilisation de l’Eglise catholique comme un engagement de « principe, […] aux évolutions lentes et parfois contradictoires 697». Un tel jugement est peut-être influencé par le combat actif et efficace de l’anglican Desmond Tutu affirmant que le rôle des Eglises chrétiennes est de « remplacer les mouvements d’opposition laïc réduits au silence 698  »…

Réforme s’intéresse particulièrement au combat des Eglises chrétiennes au sein du SACC et rapporte notamment la tenue de réunions organisées à l’initiative du conseil en mai 1988, à un moment où les Eglises sont dans l’obligation d’être à la tête du combat, puisque tous les autres espaces de résistance (partis politiques, presse…) ont été anéantis par la répression gouvernementale :

‘« « Un moment crucial ». C’est ainsi que des leaders définissent les circonstances actuelles pour les Eglises, trois mois après le « bannissement » de 17 organisations de lutte contre l’apartheid. Un moment crucial certes. Pour combattre la politique de Pretoria mais également, et cela est moins proclamé, pour faire front dans l’unité 699  ».’

Le 25 juin Réforme revient sur la situation des Eglises chrétiennes membres du SACC qui, par la nature de leur lutte, sont devenues elles-aussi victimes d’une répression qui n’épargne plus personne :

‘« Les Eglises sont au cœur de l’échiquier politique en Afrique du Sud […]. L’Etat mène une partie de bras de fer contre le Conseil sud-africain des Eglises (SACC) 700  ».’

Les Eglises chrétiennes sud-africaines sont donc devenues des martyrs de l’apartheid. L’article réagit à la surveillance que doit subir le SACCpuisque le président Botha considère ses dirigeants comme des instruments de l’ANC et du Parti communiste 701  »… Le siège du conseil, Khotso house (la maison de la paix) est surveillé, des micros ont été placé dans les bureaux :

‘« A côté de cette surveillance sophistiquée et quotidienne, le gouvernement s’emploie régulièrement à discréditer les dirigeants du SACC 702  ».’

Le combat des Eglises chrétiennes s’avère être de plus en plus difficile et que le SACC paie chèrement le prix de son engagement et de ses actions anti-gouvernementales703.

Anne-Marie Goguel dans Le christianisme au XXème siècle consacre un article au rôle que tiennent les Eglises dans la lutte contre l’apartheid, glorifiant une attitude devenue unanime :

‘« La majorité des Eglises chrétiennes d’Afrique du Sud, tant protestantes que catholiques combattent activement ce qui leur apparaît aujourd’hui comme une « hérésie » cherchant un pseudo salut dans la préservation de l’identité raciale […]. Ce ne sont pas seulement les catholiques romains, et les anglicans, mais aussi les méthodistes, les presbytériens et les Eglises réformées « africaine » et « métisse » issues de la prédication des Eglises réformées blanches pro apartheid qui ont aujourd’hui rejeté « l’apartheid » et agissent ensemble au sein du « Conseil sud-africain des Eglises » pour porter secours aux victimes de la répression et pour inciter leurs compatriotes à une véritable résistance non violente aux structures injustes de la société sud-africaine 704  ».’

Des Eglises chrétiennes engagées dans un combat devenu politique, des Eglises surveillées, des Eglises persécutées… Tel est le tableau dressé dans la presse chrétienne dans la deuxième moitié des années 80. La nature de la lutte a profondément évolué, particulièrement au sein de la hiérarchie catholique qui, d’une condamnation théorique du système, a évolué vers la proposition et la mise en place de mesures concrètes de résistance passive. Pour le lecteur catholique français, il est possible que ces prises de positions aient paru extrêmes. La situation politique française n’est pas la même, les évêques de France n’ont pas à endosser de tels rôles de résistants… Comment le Vatican a-t-il perçu cet engagement sud-africain ? Lorsque les revues catholiques s’arrêtent sur les prises de position papales concernant l’apartheid après avoir reproduit les mobilisations catholiques sud-africaines, elles laissent comprendre que les évêques sud-africains bénéficient d’une certaine autonomie et sont en dehors d’un éventuel contrôle du Vatican.

Notes
694.

« Protestation de la Conférence épiscopale », La documentation catholique, n°1960, 17 avril 1988, col 429-430.

695.

« Protestation du cardinal Decourtray contre l’apartheid », La documentation catholique, n°1960, 17 avril 1988, col 420.

696.

« Lettre épiscopale sur la violation des droits de l’homme », Fides, 23 mars 1988, NF 162.

697.

« Apartheid : chrétiens, encore un effort », ARM, n°61, 15 novembre 1988, p. 26.

698.

Ibid.

699.

Julia RIMBAUD, « Des Eglises en première ligne », Réforme, 11 juin 1988, p. 3.

700.

Julia RIMBAUD, « Des Eglises en état d’urgence », Réforme, n°2254, 25 juin 1988, p. 6.

701.

Ibid. Déjà en 1980, P.W Botha avait accusé le SACC de soutenir des groupes terroristes et de détourner des fonds. Il s’attacha donc à neutraliser le Conseil en le coupant de ses correspondants étrangers, (notamment de celui du COE) et de leurs financements.

702.

Ibid.

703.

Le 31 août 1988 soit seulement quelques semaines après que Julia Rimbaud ait décrit la surveillance que doit subir le SACC, le siège du Conseil (Khotso House) sera plastiqué. Le 12 octobre, ce sera le tour du siège de la Conférence épiscopale, Khanya House.

704.

A.M GOGUEL, « L’hérésie », n°30, 26 août 1985, Editorial et Une.