1-10 Les positions épiscopales sud-africaines à l’orée des négociations

Quelques semaines après la libération de Nelson Mandela, les évêques publient une nouvelle lettre pastorale. Avant la transition du pays vers un régime démocratique, les évêques se soucient des moyens à mettre en œuvre pour réussir cette transition sans effusion de violence. Rappelant l’efficacité des pressions économiques et des boycotts exercés depuis le milieu des années 80, deux chemins s’offrent à l’Afrique du Sud : la destruction ou les négociations. Les évêques devront œuvrer pour la deuxième option en proposant par exemple la remise en liberté des prisonniers, le retrait des troupes des townships, la fin de l’état d’urgence…

‘« Pour atteindre ce but, le gouvernement élu par la population blanche doit reconnaître que la question à négocier est celle du démantèlement de l’apartheid et la restructuration de la société sud-africaine 721  ».’

Si l’Eglise catholique a eu à jouer un rôle lors de l’apartheid, elle devra en jouer un nouveau au moment des négociations, à un moment où les observateurs chrétiens restent inquiets de voir se développer des violences entre partisans de l’ANC et partisans de l’Inkatha, particulièrement dans la région du Natal :

‘« Que de chemin reste à parcourir ! Et c’est ici qu’interviennent les Eglises. Elles peuvent utiliser leur poids, qui est grand, pour aider la population à accepter l’inéluctable nécessité à la négociation 722  ».’

Bruno Chenu, dans La Croix, retrace l’historique d’un engagement catholique, depuis la déclaration de 1952, inaugurant « un processus de prise de conscience des catholiques 723  ». Après la déclaration plus ferme de 1957, Bruno Chenu parle de la « nouvelle étape de l’engagement catholique 724  » à la suite des émeutes de Soweto, de l’intensification des prises de position dans les années 80 et des conséquences d’un tel engagement, alors que le siège de la SACBC a été plastiqué…

‘« Désormais, chaque année va connaître son lot de déclarations percutantes contre le racisme institutionnalisé qu’est l’apartheid pour la légitimité de l’objection de conscience par exemple[…]. Il s’agissait moins de détruire un bâtiment que d’anéantir le travail qui s’y fait, à savoir l’engagement pour la justice et les droits de l’homme. Mais l’Eglise catholique continue son action en lien avec le Conseil sud-africain des Eglises 725  ».’

Bruno Chenu précise que les prises de position ont eu un caractère profondément œcuménique, notamment à partir des années 70. Nous sommes donc loin ici d’une « glorification » de la seule Eglise catholique dont l’engagement n’a d’ailleurs pas été unanime :

‘« Il ne faudrait pas déduire de ces prises de position très claires de la hiérarchie que les communautés et les fidèles ont toujours suivi. L’attitude pratique accuse un certain retard 726  ».’

Cette attitude contradictoire, entre une hiérarchie clairement contre l’apartheid et une pratique ne suivant pas forcément, fut donc constamment rappelée dans la presse chrétienne française. Elle fera aussi l’objet d’un véritable « mea culpa » chez les évêques dans leur déclaration de janvier 1991 :

‘«Nous devons admettre avec tristesse que, bien que, comme Eglise, nous ayons souvent parlé contre le péché d’apartheid, nous ne sommes pas innocents de toute complicité de soutien et d’accompagnement. Aussi, nous demandons pardon à tous ceux, dans l’Eglise et au-delà, qui ont souffert de nos actions, de notre aveuglement et de notre négligence dans le passé 727  ».’
Notes
721.

« Afrique du Sud : la pression économique ou la négociation », La documentation catholique, n°2003, 1er avril 1990, col 369.

722.

Xavier DUJARDIN, « Les convulsions de l’apartheid : sanglant avertissement aux Eglises », ARM, 15 juin 1990, p. 10.

723.

Bruno CHENU, « Les évêques sur le front de l’apartheid », La Croix, 15 février 1990, p. 22.

724.

Ibid.

725.

Ibid.

726.

Ibid.

727.

Reproduit dans B.CHENU, L’urgence prophétique, op.cit., p. 233.