1-11 Physionomie de l’engagement de 2 structures chrétiennes tel qu’il apparaît dans la presse française

Les lettres pastorales sud-africaines ont toutes été reproduites dans La documentation catholique, et ceci dans leur intégralité. Cette diffusion ne résulte cependant pas d’un choix éditorial, cet organe de presse catholique reproduisant la totalité des textes officiels de l’Eglise dans le monde. Les journaux catholiques comme La Croix ou les ARM vont souvent faire référence à ces textes en relevant leurs points essentiels. L’énumération des premières lettres (principalement celles diffusées dans les années 50 et 60) sans aucun commentaire peut démontrer que les observateurs ont jugé ces déclarations tièdes et vaines… Le ton se radicalisant au fil des années, ces lettres et leurs répercussions en Afrique du Sud ont trouvé une place plus large dans la presse chrétienne française.

L’évolution de l’engagement des évêques au sein de la Conférence épiscopale sud-africaine (SACBC) est clairement perceptible dans la presse catholique française : il ressort de la lecture des lettres pastorales l’image d’une Eglise passant d’une parole autour de la dignité de l’être humain à des réflexions sur la légitimité du régime et les rapports Eglise-Etat.

La radicalité des évêques catholiques sud-africains, et plus globalement des déclarations et prises de position des Eglises membres du SACC à partir des années 70 n’a suscité aucune critique négative dans la presse étudiée, les observateurs français considérant que, dans un tel climat de crise, la place des Eglises se doit d’être auprès des opprimés.

Alors que la conférence épiscopale et le SACC unissent leurs efforts et travaillent à des prises de position communes, la presse réformée répercute le travail des Eglises chrétiennes et réfléchit à la place que ces dernières doivent occuper dans la lutte alors que la répression s’abat sur la majeure partie des organisations anti-apartheid. « Les Eglises en première ligne 728  », « L’engagement non-violent de l’Eglise 729», « Quelle parole pour l’Eglise ? 730  », « Des Eglises en état d’urgence 731  », « L’Eglise peut-elle rester en dehors de la politique ? 732  », « Chrétiens, encore un effort 733  », autant de titres d’articles qui démontrent bien l’intérêt des observateurs, autant catholiques que réformés, pour l’engagement des Eglises chrétiennes sud-africaines, ces dernières apparaissant, à partir des années 80, comme ayant un réel rôle prophétique à jouer auprès des opprimés. Il est intéressant de noter que la presse réformée française s’intéresse presque exclusivement au travail des Eglises réunies (dans un esprit œcuménique) au sein du SACC et ne fait que très peu référence aux déclarations de l’Eglise catholique sud-africaine.

Autrement dit, la nature « politique » de la lutte des Eglises, au sens ou elle vise un bouleversement structurel et la contestation de lois injustes, n’est pas critiquée par les chrétiens français. L’implication des Eglises chrétiennes dans un esprit œcuménique n’est que l’application d’un discours social de l’Eglise élaboré à partir de Vatican II. Lorsque critiques il y aura, elles porteront sur la structure interne de l’Eglise : un clergé majoritairement blanc pour des fidèles à 75% noirs… Reproduits dans Les Informations Catholiques Internationales 734 ,les propos de Mgr Naidoo, évêque auxiliaire du Cap, sur la physionomie générale de l’Eglise catholique rappellent aux lecteurs cette réalité peu glorieuse. L’évêque s’attache à rappeler que la majorité des fidèles ignore les problèmes raciaux, que d’autres adhèrent à la justification théologique donnée au système et que seulement quelques uns sont conscients que l’apartheid entraîne une réelle injustice sociale735. Cette vision d’une Eglise catholique globalement peu consciente des réalités de l’apartheid est sans doute exacte puisqu’à la différence des travaux effectués par les Eglises membres du SACC, il semble les lettres épiscopales aient eu assez peu d’impact sur l’ensemble des fidèles sud-africains puisque leur diffusion s’est limitée à des cercles restreints de catholiques « militants ». Du temps de l’apartheid, la physionomie de l’Eglise catholique est donc double : une hiérarchie libérale, une assemblée plus conservatrice…Quoi qu’il en soit, c’est l’engagement courageux de l’Eglise catholique sud-africaine qui est retenu dans la presse chrétienne française, une institution qui devient le symbole d’une prise de conscience et d’une mobilisation sans compromis…ou presque. L’engagement des évêques devient aussi le symbole d’une Institution qui, bien que placée sous la hiérarchie de la lointaine autorité papale, se positionnera d’une façon relativement indépendante. Les déclarations papales reproduites dans La documentation catholique feront d’ailleurs apparaître ce fossé entre une prudence papale et une affirmation épiscopale sud-africaine contre le système d’apartheid.

Si les lettres épiscopales produites durant 40 ans donnent l’image d’une Eglise unie, il est important de noter que les conflits internes à la Conférence épiscopale n’ont pas manqué. Des personnalités catholiques se démarquèrent et devinrent des voix plus claires que d’autres dans le combat contre le système d’apartheid. Par son charisme, par un discours contestataire précoce, Mgr Dennis Hurley fut l’une d’elles.

Notes
728.

Réforme, 16 septembre 1989, p3.

729.

Réforme, 6 septembre 1985, p3.

730.

Réforme, 5 avril 1986, p4.

731.

Réforme, 25 juin 1988, p6-7.

732.

ARM, 15 mars 1987, p7.

733.

ARM, 15 novembre 1988, p18-27.

734.

Jacques TISSART, « Afrique du Sud : une Eglise noire à direction blanche », op.cit.

735.

Une déclaration du pasteur Robert Orr proncée en 1960 lors d’une assemblée de l’Assemblée presbytérienne rejoint celle de Mgr Naidoo, sur un ton tout aussi cynique : « Les déclarations de principe des Eglises contre l’apartheid ont eu moins d’effet que le tintement d’une casserole attachée à la queue d’un chat, sinon un effet négatif, celui de soulager la conscience du fidèle blanc qui peut exhiber des déclarations et dire : « voilà ce que pense mon Eglise » et retourner tranquillement à la lecture de son journal » in A.M GOGUEL et P.BUIS, Chrétiens d’Afrique du Sud face à l’apartheid, op.cit., p. 15.