2-3 Les premières dénonciations

Mgr Hurley ne se contente donc pas ici d’une simple condamnation « idéologique » mais propose une solution unique capable de tout résoudre, la suppression de la Colour bar 749 (emplois réservés) dans un délai de 10 ans :

‘« Les Africains ne croiront jamais qu’une politique est pour leur bien tant que la Colour bar sera le principe de base. Et qui peut les en blâmer ? […] Les emplois que l’on va réserver aux Blancs peuvent être exercés par des non-Blancs. Les réserver, c’est réduire les possibilités de gagne-pain pour des gens pliant déjà sous Dieu sait quelle pauvreté criante 750  ».’

Le discours de Mgr Hurley prend ainsi un ton nettement plus offensif, s’attaquant à un aspect essentiel du système politique d’apartheid.Dès 1959 soit l’année de la promulgation du Promotion of Bantu Self Government Act instaurant les « unités nationales », Mgr Hurley s’élève « contre l’idée de partager le pays en zones raciales », prônant l’intégration de tous :

‘« Les Blancs d’Afrique du Sud ne pourront jamais présenter le compartimentage du pays comme une affaire sérieuse, car au moment où la préparation des esprits sera achevée, les possibilités pratiques d sa mise à exécution seront dépassées  751 ».’

Dès 1959, Mgr Hurley est la principale voix sud-africaine informant les lecteurs de la presse chrétienne française de la création des bantoustans, pilier de l’apartheid territorial. La dénonciation est nette et Mgr Hurley prône là encore comme seule solution le changement de mentalité des Blancs et des droits politiques accordés à tous ceux « possédant le minimum de qualités requises 752». Les autres organes de presse étudiés ne répercutent assez peu ces prises de position tranchées dans les années 50. Citons cependant 2 articles parus dans les Informations Catholiques Internationales en 1958. Un premier article en février rapporte les propos cyniques et percutants de Mgr Hurley sur le nécessaire passage aux actes, insistant sur le fait que la bonne conscience chrétienne ne suffit pas…

‘« Il n’y a rien qui puisse vous donner le sentiment d’être un bon chrétien comme une condamnation péremptoire de l’apartheid. Les journaux reproduisent vos propos en première page, on vous décrit comme quelqu’un de courageux, vos paroles sont reprises à l’étranger, vous faites figure de croisé […]. Le dimanche, vous remerciez Dieu de vous avoir inspiré ces déclarations. Il vous les a données pendant que vous étiez en train de prier dans l’Eglise où se pratique une stricte ségrégation […]. Vous prenez les autobus strictement réservés aux Blancs, vous prenez les ascenseurs qui sont pour vous seuls, vous travaillez assidûment parmi vos compagnons de pure race blanche […]. Vous êtes cependant très content des déclarations que vous avez faites 753 ».’

En novembre, la revue reproduit sur trois pages le discours de Mgr Hurley prononcé devant le parlement de Durban et consacré à la question des salaires des Noirs. Les thèmes abordés y sont les effets désastreux du travail migrant (vie dans les cités urbaines…) et surtout les conditions de vie dans les « réserves » (pauvreté, terres incultes, absence de travailleurs partis trouver du travail dans les grands centres urbains, mortalité infantile…). L’acceptation de ce système est synonyme de véritable « crime 754  ». Si la race blanche est désignée du doigt, Mgr Hurley avoue qu’il est difficile de parler de responsabilité de tout un peuple. Pourtant, la conscientisation des blancs reste un objectif majeur mais devant l’urgence de la situation, Mgr Hurley place le problème des salaires comme étant un problème prioritaire :

‘« Dans le domaine politique, le but est encore très lointain. Mais dans le domaine de la justice, les Africains ont droit à des salaires honnêtes, à une vie décente et nous ne sommes pas si durs et si inhumains, il y a un sens moral quelque part en nous qui peut être rappelé à la vie 755  ».’

Les premières déclarations de Mgr Hurley reproduites dans la presse chrétienne française dans les années 50 laissent donc déjà apparaître les grands axes autour desquels vont s’articuler ses actions : travail de conscientisation en direction des blancs afin de mettre fin aux préjugés, dénonciation des effets économiques et sociaux de l’apartheid sur les populations non-blanches, non-viabilité du système des « réserves », question des emplois réservés.

Notes
749.

A partir de 1926, le Mines and Works Amendment Act étend la Colour bar à tous les domaines de l’économie. Les emplois spécialisés dans les mines et dans les industries sont désormais réservés aux Blancs.

750.

Ibid.

751.

« La ségrégation doit disparaître », Fides, 31 octobre 1959, NF 395.

752.

Ibid.

753.

« « La justice interraciale doit passer dans les faits » déclare l’archevêque de Durban », ICI, n°65, 1er février 1958, p14.

754.

« La condition des Noirs sud-africains par Mgr Hurley, évêque de Durban », ICI, 15 novembre 1958, p. 27.

755.

Ibid., p. 29.