2-5 Mgr Hurley dans le sillage de Vatican II et de la doctrine sociale

Lors d’une conférence donnée à Durban et portant sur l’attitude de l’Eglise vis-à-vis de la situation raciale et reproduite par La documentation catholique en juin 1977772, Mgr Hurley parle du courant social qui traverse l’Eglise catholique depuis le XIXème siècle, faisant un parallèle avec l’idéologie marxiste :

‘« Karl Marx nous a devancés de 50 ans au moins. Il nous a également devancés d’une autre manière, en réalisant et en soulignant l’importance de la Praxis, c'est-à-dire de l’action opposée à la réflexion et à la parole 773  ».’

Une doctrine sociale de l’Eglise va s’élaborer ensuite, comme le dit Mgr Hurley, avec la publication de l’encyclique Rerum novarum (1891)de Leon XIII considérée comme un véritable tournant pour les catholiques. La doctrine s’élabore ensuite lors du concile Vatican II avec la promulgation de la Constitution pastorale Gaudium et Spes (décembre 1965), déjà signalée comme document de référence par les évêques catholiques dans leur déclaration épiscopale de 1966774. L’influence de Vatican II sur la personnalité de Mgr Hurley est compréhensible puisqu’il prit une part active dans sa préparation et son déroulement, notamment en tant que membre de la commission pour la formation des prêtres et l’éducation chrétienne.

Mgr Hurley développe ainsi une vision de l’Eglise profondément tournée vers l’action, implantée solidement dans la société et dans la résolution des problèmes de son temps. Cette conception est possible par une approche nouvelle de la Catéchèse, thème qui deviendra récurrent dans les discours de l’archevêque et dans les articles que la presse chrétienne française va lui consacrer. Mgr Hurley revient sur les enseignements que lui ont apportés le concile dans un article paru dans Concilium en 1979 :

‘« Il s’agit aujourd’hui de communiquer la nouvelle synthèse chrétienne héritée de Vatican II, [de dépasser] la longue période de théologie abstraite, beaucoup trop éloignée de l’expérience vécue et de méthodes pédagogiques qui n’étaient guère calculées pour réveiller, pour enthousiasmer et pour convertir 775  ».’

Un autre courant touchant l’Eglise va également influencer Mr Hurley et l’aider à mettre en pratique une nouvelle pastorale, celui de la JOC :

‘« Joseph Cardijn comprend que pour donner une dimension sociale à la morale, il faut faire naître une conscience de groupe par la réflexion et l’action, et faire en sorte que les réalités de la vie soient repensées à la lumière de l’Evangile 776  ».’

Le mouvement de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) crée en 1924 par le prêtre belge Joseph Cardijn a eu en effet un impact important sur la personnalité de Mgr Hurley qui fut séduit par l’idéologie militante du mouvement. La ligne de conduite du mouvement, « voir, juger, agir », met bien l’accent sur la part active que doit prendre le travailleur chrétien dans son évolution et dans celle de la classe ouvrière. Si la JOC évolue dans un contexte social bien précis, au sein d’une classe donnée, Mgr Hurley retient le caractère militant du mouvement, incarnant pour lui une théologie pastorale du changement social :

‘« La théologie de la libération apporte sa contribution à ce genre de théologie pastorale. Elle doit son origine dans une large mesure au génie de Joseph Cardijn qui avait vu que la faiblesse de l’Eglise quand elle s’en prend au mal social venait de sa théologie abstraite et de sa pédagogie magistrale […]. Les méthodes qui doivent leur origine au « voir, juger, agir » de Cardijn seraient tout aussi efficace vis-à-vis des oppresseurs que des opprimés […]. Tout cela peut paraître assez étrange à ceux qui n’ont pas l’expérience d’appartenir à une société d’oppression mais en fait, nous avons besoin d’une théologie pour les oppresseurs tout autant que nous en avons besoin pour les opprimés  777 ».’

Ces propos reproduits par Concilium rendent bien compte du regard que Mgr Hurley porte sur la situation en Afrique du Sud : le conflit est d’ordre économique, entre des possédants blancs (17% de la population) maîtres de 70% des richesses du pays et des populations exploitées. Cette conception rejoint celle qui fut celle du mouvement de la JOC sud-africaine. Les réponses à apporter sont, d’après Mgr Hurley, de deux ordres : économique778 et mental.

L’Eglise devra adapter sa théologie dans le but de parvenir à un changement de la mentalité des Blancs :

‘« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une théologie pastorale du changement social qui touche l’Eglise, dans son ensemble, dans tous ses chefs, enseignants et communicateurs, une théologie pastorale qui transforme nos facultés et nos séminaires, nos instituts religieux et pastoraux  779 ».’

Le thème des conditions de vie des travailleurs sera, pour Mgr Hurley, comme pour les membres de la JOC, un thème de lutte récurrent. Si ceux des salaires et de la Colour bar font l’objet d’une importante déclaration dès 1959780, la question du statut des ouvriers (et des « foyers » urbains pour travailleurs migrants), fait l’objet d’une publication de Diakonia sous le titre « Les foyers, un défi pour les Eglises ». L’Eglise se doit de se tourner vers ces populations, « chrétiens négligés et oubliés par leurs Eglises 781  ». Les solutions possibles exposées par Mgr Hurley résident dans une meilleure connaissance de ces foyers (notamment par des visites), une meilleure intégration des travailleurs dans les activités de la paroisse et « une réflexion théologique sur la réponse chrétienne à cette situation 782  ». Ces solutions proposées par Mgr Hurley traduisent ainsi bien sa conception d’une pastorale concrète et active de l’Eglise.

Notes
772.

« La situation en Afrique du Sud et l’attitude de l’Eglise » (1977), op.cit.

773.

Ibid.

774.

« Lettre des évêques d’Afrique du Sud sur l’apartheid » (1966), op.cit.

775.

Mgr D. HURLEY, « Que peut l’Eglise pour vaincre l’apartheid ? », Concilium, n°144, avril 1979, p. 148.

776.

Mgr D. HURLEY, « La situation en Afrique du Sud et l’attitude de l’Eglise » (1977), op.cit., col 582.

777.

« Que peut l’Eglise pour vaincre l’apartheid ? » (1979), op.cit.

Voir aussi : Chrétiens, Afrique et développement, rapport du CIDSE publié à l’issue des journées d’étude de Dar-Es-Salaam (10-11 février 1981) : « L’organe le plus efficace pour développer le sens des responsabilités sociales du chrétien, c’est la JOC, mais elle n’a pas été encouragée très vigoureusement par les évêques et les prêtres et n’est pas par conséquent, aussi forte qu’elle aurait pu être. L’efficacité de ses méthodes est prouvée par l’attention que lui portent les forces de sécurité » (p. 34).

778.

D’après Mgr Hurley, la solution économique réside dans un développement nécessairement non racial. Cette conception est exposée en détail dans le rapport du CIDSE, Chrétiens, Afrique et développement, op.cit., p. 32.

779.

Ibid.

780.

Mgr Hurley, « La ségrégation raciale en Afrique du Sud » (1959), op.cit.

781.

« Les « foyers » pour travailleurs émigrés, défi pour la pastorale », Fides, n°3484, 21 mars 1987, NF 140.

782.

Ibid.