2-6 Une dimension politique dans l’engagement de Mgr Hurley ?

La question de la Namibie783 est l’objet d’une mobilisation de la Conférence épiscopale (alors présidée par Mgr Hurley) en 1981. Mgr Hurley, à la tête d’une petite délégation, se rend dans le pays occupé par l’Afrique du Sud. En mai 1982, les évêques publient un rapport, abordant frontalement des questions politiques brûlantes (effets militaires de l’occupation…) et appelant à un cessez-le-feu et à un processus de paix capable de mener le pays à l’indépendance. Fides rend compte de cette mobilisation avec la note préalable suivante, signe de l’intérêt de la rédaction pour cette implication :

‘« Malgré le retard avec lequel nous est parvenue cette information, nous avons jugé qu’il était nécessaire de rapporter l’initiative et la prise de position des évêques de la Conférence d’Afrique du Sud sur la situation et les aspirations légitimes de la population de la Namibie 784  ».’

Cet engagement des évêques conduits par Mgr Hurley entraîne donc l’intérêt des observateurs, conscients que le rapport sur la Namibie met en valeur des faits qui sont habituellement censurés par le gouvernement sud-africain. D’après eux, le rapport reflète « l’état de violence qui provient des deux parties en conflit - la guérilla et l’armée sud-africaine – et l’attitude de la majorité des Namibiens face à l’aggravation du conflit 785  ».

Afin de prévenir toute critique susceptible de qualifier l’action de Mgr Hurley comme trop politique et donc illégitime pour un homme d’Eglise, Fides reproduit une clarification figurant dans le rapport, comme pour éviter d’éventuelles critiques françaises :

‘« [Le rapport] précise en outre, à propos de l’activité de Mgr Hurley dans le domaine de la justice sociale, que ces activités, qui sont en accord avec les enseignements de l’Eglise, ne peuvent être considérées comme des ingérences politiques, mais comme une proclamation de la morale chrétienne dans le domaine politique 786  ».’

Les prises de positions de Mgr Hurley concernant l’occupation militaire de la Namibie suscita des réactions du côté gouvernemental. Dans le rapport, Mgr Hurley qualifie l’armée sud-africaine d’armée d’occupation et juge l’existence de la SWAPO comme légitime787. Cet engagement coûtera cher à Mgr Hurley : en 1984, La Croix rend compte du procès durant lequel Mgr Hurley est jugé pour avoir dénoncé les mauvais traitements infligés en Namibie par les Koevoet, groupe para-militaire sud-africain, en dénonçant de véritables cas de torture et plusieurs décès de civils788.

« L’épisode » namibien passé, Mgr Hurley ne cesse, dans les années 80, de faire entendre sa voix, devenant alors, aux yeux des observateurs chrétiens français, une des personnes « les plus critiques vis-à-vis du régime d’apartheid 789  ». La nature de son engagement suscitera cependant des critiques dans la deuxième moitié des années 80 : en 1987, Mgr Hurley réagit aux paroles du nonce en Afrique du Sud qui demandait la prudence du clergé en matière de politique. S’adressant au pape Jean-Paul II, Mgr Hurley réclame que soit faite « une claire distinction entre ce qui constitue la mission terrestre de l’Eglise et ce qu’il entend par faire de la politique 790  ».

Alors que l’Afrique du Sud s’engage sur la voie des négociations, Mgr Hurley annonce que l’Eglise reste ouverte au dialogue. Mgr W. Napier, qui prendra la succession de Mgr Hurley à la tête de l’archidiocèse de Durban en juin 1992791, déclare à l’orée des négociations « qu’aucun être humain ne peut fixer les limites de l’Eglise 792  », faisant allusion à la déclaration du président De Klerk pour qui l’Eglise doit demeurer dans le domaine de ses compétences. Mgr Hurley semble avoir trouvé sa relève…

Notes
783.

A la suite de la première guerre mondiale, la SDN confia un mandat à l’Afrique du Sud sur le sud-ouest africain, alors colonie allemande depuis 1885. L’Afrique du Sud l’annexa en 1968. A partir des années 50, l’ONU se soucia de la situation et entendit exercer un droit de regard sur l’administration du territoire et le transformer le mandat attribué à Pretoria en une tutelle temporaire. Pretoria refusant, l’ONU révoqua en 1966 le mandat sud-africain. Le 29 septembre 1978, la résolution 435 adoptée par le conseil de sécurité prévoyait l’accession du sud-ouest africain à l’indépendance après l’organisation d’un scrutin législatif. Une guerre s’engagea entre la SWAPO (South West African People Organization) et l’armée sud-africaine. Sous la pression internationale, l’Afrique du Sud abandonna ses droits sur la Namibie et signa en décembre 1988 les accords de Washington décidant de l’indépendance de la Namibie.

784.

« Rapport des évêques sur la paix et l’indépendance de la Namibie », Fides, n°3191, 13 octobre 1982, NF 442.

785.

Ibid.

786.

Ibid.

787.

La South West African People Organization a été fondée en 1960 pour mener la Namibie à l’indépendance. En 1973, l’ONU reconnut la SWAPO comme représentante unique du peuple namibien. La SWAPO fut soutenue par l’URSS et l’Angola.

788.

« Les Eglises d’Afrique du Sud accusées : Mgr Hurley en jugement », La Croix, 19 octobre 1984, p. 17. Mgr Hurley fut condamné à payer 25 000 rands de dommages et intérêts.

789.

« Mgr Hurley souhaite la justice et la réconciliation », Fides, n°3397, 27 novembre 1985, NF 548.

790.

« L’Eglise peut-elle rester en dehors de la politique », ARM, n°43, 15 mars 1987, p. 7.

791.

Franciscain noir, W. Napier avait déjà succédé à Mgr Hurley à la tête de la Conférence épiscopale d’Afrique australe en janvier 1987.

792.

« L’Eglise catholique prête au dialogue en réponse à l’appel lancé par le président De Klerk », Fides, n°3645, 10 janvier 1990, NF 9.