2-7 Mgr Hurley, une figure emblématique

Mgr Hurley fut un interlocuteur privilégié pour les chrétiens français. Dès 1975, alors qu’il effectue un voyage à Rome, il s’arrête à Paris et y est reçu par Mgr Menager, évêque de Reims et président de la commission « Justice et Paix », et par M. Faune, président de CCFD. Il y réaffirme « sa crainte qu’un isolement économique de l’Afrique du Sud n’entraîne du chômage et du désordre 793  ». Lors du même voyage, la nation française rendra également hommage à la personnalité de Mgr Hurley et le faisant chevalier de la Légion d’Honneur.

Le 15 mai 1987 et à l’approche de la commémoration de l’anniversaire des événements de Soweto, Mgr Vilnet, président de la Conférence des évêques de France adresse une lettre à Mgr Hurley alors président de la SACBC, rendant hommage à son long combat contre la politique de l’apartheid794.

‘« Ce que l’Eglise a proposé sur la justice et sur l’amour a été d’une grande beauté, mais n’a pas eu de grande influence sur les attitudes sociales et n’est pas parvenu à pénétrer en profondeur dans la conscience sociale 795  ».’

Cette déclaration de Mgr Hurley alors que l’Afrique du Sud vit ses premiers mois sans apartheid témoigne du regard déçu d’un homme d’Eglise qui estime n’avoir pas su engager la structure catholique sur la voie sociale. Sous la forme d’un « mea-culpa », Mgr Hurley déplore le fait que l’Eglise catholique ait eu si peu d’influence alors qu’il oeuvra sans cesse pour la formulation d’une pastorale d’Eglise plus proche de la population opprimée. La création de Diakonia en 1976, signe d’une prise de conscience œcuménique et non purement catholique, permit à Mgr Hurley de mettre en pratique sa vision d’une Eglise impliquée et sensibilisée aux problèmes de son époque.

Mgr Hurley ne cessa de mettre en évidence une attitude théorique claire de l’Eglise vis-à-vis de l’apartheid mais si frileuse que concrètement, peu de décisions furent prises pour lutter contre la discrimination, que ce soit à l’intérieur de la structure catholique (clergé blanc) ou dans son implication auprès des populations noires796. L’Eglise catholique, en tant qu’institution, eut toujours des difficultés à endosser un combat à la connotation un peu trop « politique » et passer pour un mouvement contestataire.

Mgr Hurley ne caractérisa jamais son combat individuel de combat « politique » et se « contenta » d’affirmer que la recherche de la justice sociale ne pouvait se faire qu’en lien avec les principes de l’Evangile. La lutte contre l’apartheid était donc avant tout une lutte contre des principes allant à l’encontre des principes évangéliques. Si l’apartheid est présenté, particulièrement dans les années 50, comme relevant d’une question d’ordre moral, ce rappel aura tendance à s’effacer dans les années suivantes, alors que Mgr Hurley axera ses dénonciations sur les conséquences politiques et économiques du système sur les populations non-blanches.

Le lecteur catholique retiendra de l’engagement de Mgr Hurley son discours social, ses influences puisées dans l’idéologie jociste et dans les enseignements de Vatican II (et particulièrement de la Constitution pastorale Gaudium et Spes). Enfin, il retiendra sa conviction que les Eglises se doivent d’agir dans un esprit de communion et d’unité. La fondation de Diakonia en 1976, assez peu répercutée dans la presse chrétienne française sera la concrétisation de cette conception.

Les observateurs chrétiens français qui se sont penchés sur le parcours de Mgr Hurley n’ont jamais porté de jugements négatifs sur la radicalité de son discours. Au contraire, son opposition au régime d’apartheid et les « avertissements » que le gouvernement lui adressa pour le « recadrer » dans une action plus « religieuse », permirent de faire émerger une figure de résistant.

Mgr Hurley fut la principale voix catholique à parvenir jusqu’en France. Que ce soit dans la presse à diffusion restreinte et très spécialisée (Fides, La documentation catholique) ou celle bénéficiant d’une diffusion plus large (La Croix, Les Actualités Religieuses dans le Monde), les observateurs catholiques françaisont trouvé dans la personnalité de Mgr Hurley une incarnation d’une Eglise catholique courageuse et engagée. La presse réformée française rend davantage compte de la mobilisation de Mgr Hurley lorsqu’elle s’exerce au sein de structures œcuméniques comme Diakonia ou le SACC. Elle préfére s’attacher à décrire les parcours et les engagements de personnalités issues du monde réformé sud-africain incarnant elles-aussi une Eglise au message prophétique.

Notes
793.

« « Le temps presse » dit Mgr Hurley », La Croix, 16 octobre 1975.

794.

« Journée de prière et de jeune pour l’Afrique du Sud », Le christianisme au XXème siècle, n°71, 9 juin 1986, p. 6.

795.

« Conscience et cohérence chrétienne », Fides, n°3679, 10 avril 1991, NF 123.

796.

« We are good at statements and declarations but extremely poor on evangelization. The gap between prophetic statements and evangelization in terms of them is enormous. For this reason it has been said that social teaching is the best kept secret in the church » in Facing the crisis, op.cit., p. 162.