3-2 L’apparition de Desmond Tutu dans la presse chrétienne française

Les prises de positions de Desmond Tutu sont régulièrement reprises dans la presse chrétienne française dans les années 80. Cependant, et alors que l’homme est évêque du Lesotho et donc non impliqué directement dans l’histoire sud-africaine, Le christianisme au XXème siècle reproduit dès 1976 quelques passages, sans commentaire, de la lettre que D. Tutu adresse au premier ministre M. Vorster799. C’est en tant que doyen anglican de Johannesburg qu’il lui écrit, une lettre d’un chrétien à un autre. Quelques semaines avant les émeutes de Soweto, D. Tutu fait preuve d’une grande clairvoyance, prévoyant un bain de sang si aucune réforme n’est faite, le Noir à la dignité bafouée commençant à perdre patience. Le propos se fait concret : D. Tutu réclame la fin de la ségrégation territoriale, la fin du système des laissez-passer et enfin, « une transformation de l’Afrique du Sud en une société non-raciale, libre et juste 800  ». Desmond Tutu ne se contente donc pas de « simples » condamnations théoriques et propose au premier ministre de nouvelles orientations politiques. Bien sûr, l’interlocuteur choisi marque bien la volonté de Desmond Tutu de s’inscrire dans une contestation qui prend bien une forme politique.

La lettre prend, dans ses dernières lignes, la forme d’un avertissement, la preuve que l’appel à la plus haute autorité du pays a été tenté :

‘« Si ce que je vous suggère ici n’est pas pris en considération et si la rapide détérioration de la situation n’est pas immédiatement stoppée, alors, il n’y aura plus d’extrémistes de droite à craindre. Il n’y aura rien du tout ! […]. Je souhaite communiquer notre correspondance à la presse, de préférence d’un commun accord. Ainsi, tous nos compatriotes, Blancs et Noirs, sauront que de notre côté, nous avons fait tout ce qui parait humainement possible pour en appeler non seulement aux Blancs de la base mais jusqu’à la plus haute personnalité du pays, et pour lancer le grand avertissement contenu dans cette lettre 801  ».’

Cette lettre ne provoque aucun assouplissement dans la politique d’apartheid et la jeunesse noire exaspérée se révoltera en juin. Elle marque la première manifestation de l’engagement de Desmond Tutu contre l’apartheid reproduite dans la presse française. Desmond Tutu n’a pas encore pris ses fonctions à la tête du SACC et il est sobrement présenté, dans une courte introduction, comme étant évêque anglican mais surtout « le premier africain doyen de Johannesburg 802  ». Le fait est suffisamment exceptionnel pour devoir être mentionné. Mais si la personnalité de Desmond Tutu intéresse, c’est aussi en raison de son implication comme Directeur associé du Fonds d’études théologiques du COE. Enfin, la lettre étant reproduite dans le numéro daté du 13 septembre, il semble évident que les récentes émeutes de Soweto aient pu provoqué rétrospectivement l’attention des observateurs français sur une déclaration qui prévoyait déjà la dégradation de la situation.

En 1977, Le journal des missions évangéliques reproduit une déclaration de Desmond Tutu abordant les mêmes thèmes et rendant plus concret l’action que les Eglises doivent apporter :

‘« Je crois avec ferveur que l’Eglise, dans notre sorte de situation, ne saurait être un instrument utilisable pour conserver et pour perpétuer le statu quo, mais qu’au contraire, elle doit représenter la seule réelle opposition à l’injustice et à l’oppression. L’Eglise doit se ranger sans équivoque du côté des opprimés  803 ».’

L’Eglise se doit donc de redonner une dignité à une population noire qui s’en est vu dépouiller par le système d’apartheid. Le rôle à jouer est un rôle actif et la nécessité de leur implication s’imposera dans tous les discours de Desmond Tutu au fil des années.

Notes
799.

« Lettre ouverte de l’évêque anglican Desmond Tutu à M. Vorster », Le christianisme au XXème siècle, n°34, 13 septembre 1976, p. 5.

800.

Ibid.

801.

Ibid.

802.

Ibid.

803.

Journal des missions évangéliques, op.cit.(1977), p. 82.