3-4 L’appel à l’Occident

Jusqu’en 1981, la presse chrétienne française reproduit les principales déclarations de Desmond Tutu, sans forcément y apporter de commentaires. Le premier article « critique » sur la personnalité de l’homme d’Eglise parait en juillet 1981 dans les ICI. L’article réagit à la confiscation du passeport de D. Tutu par le gouvernement, et à une campagne de menaces et de dénigrement menée contre lui810. Après avoir donné quelques éléments biographiques, l’auteur de l’article répercute l’appel adressé par D. Tutu aux chrétiens d’Occident et rappelle les engagements demandés : citoyenneté pour tout, abolition du système des Pass, arrêt des déplacements forcés de population, système éducatif pour tous. Ces « déclarations courageuses 811  » se font au sein du SACC où plusieurs débats naissent autour de thèmes tels ceux de la désobéissance à des lois injustes, l’objection de conscience, la violence812… Défendant une certaine forme de désobéissance civique, Desmond Tutu déclare que « si c’est un crime, nous sommes fiers de nous reconnaître coupable 813  ».

Sous l’impulsion de Desmond Tutu, le SACC s’oriente nettement vers la voie de la justice sociale, cherchant des voies d’action possibles pour l’Eglise en s’attachant à mettre en valeur la non-violence. C’est à cette période que se dessine plus clairement la personnalité résistante et radicale de Desmond Tutu et qu’apparaissent les premières réactions face à la nature d’un tel engagement :

‘« Critiqué par certains pour son goût de la publicité, voire du « martyr », par d’autres pour un manque de cohérence politique, l’évêque Tutu n’en est pas moins une voix authentique de la population noire d’Afrique du Sud, une des seules qui puisse se faire entendre à l’intérieur comme à l’extérieur du pays 814  ».’

Sa voix, Desmond Tutu l’utilise pour adresser un message aux Eglises d’Europe et des Etats-Unis. Son « appel à l’aide » est reproduit dans la presse catholique comme dans la presse réformée en janvier 1982815. Si le message émane du SACC, c’est bien la signature de Desmond Tutu qui apparaît au bas du message. La démarche entreprise est bien d’informer la communauté religieuse de la réalité du système et de ses effets et surtout de présenter les mesures à adopter pour un changement notable. Les mesures proposées restent les mêmes que celles exposées dans la déclaration de juillet 1981 : même citoyenneté pour tous, suppression des lois de l’apartheid, arrêt des déplacements de populations, même système éducatif pour tous. A la fin de son message, Desmond Tutu revient sur la campagne de dénigrement dont est victime le SACC, campagne qui vise à jeter le doute sur la gestion de certains fonds, laissant bien apparaître le fait que le Conseil des Eglises, par ses actions et déclarations, est bien dans le collimateur du gouvernement :

‘« Maintenant on lance contre nous de nouveaux bruits. Nous avons nommé une commission d’enquête. Le gouvernement en a nommé une autre. Nous n’avons rien à cacher. Nous n’avons pas peur. « Si Dieu est pour nous, qui peut être contre nous ? »  816 ».’

Desmond Tutu bénéficie, déjà en 1982, d’une réelle audience à l’étranger, et plus particulièrement auprès des Eglises chrétiennes européennes. Ces déclarations sont entendues, ses prises de position sont connues et déjà qualifiées de courageuses. Si la presse réformée française a tendance à s’arrêter plus longuement sur sa personnalité, le prix Nobel de la Paix attribué à l’évêque en octobre 1984 entraînera une exposition médiatique bien plus importante et surtout une nouvelle tribune pour la question sud-africaine.

Notes
810.

En effet, au début des années 80, le premier ministre Botha accusa le Conseil des Eglises de soutenir des groupes terroristes et de détourner des fonds récoltés. Le 7 août 1980, une conférence réunit des membres du gouvernement et le SACC. Le seul résultat de la conférence fut que Desmond Tutu récupéra son passeport (confisqué en mars 1980) au début de l’année 1981… Il lui fut de nouveau retiré quelques mois plus tard…

811.

« Desmond Tutu : une voix authentique des Noirs d’Afrique du Sud », ICI, n°564, 15 juillet 1981, p. 39.

812.

A partir de 1978, Desmond Tutu à la tête du SACC travailla pour encourager la désobéissance civique, l’objection de conscience, la célébration des mariages mixtes et l’assistance aux prisonniers et aux victimes de la répression. Diverses départements sont crées : « Justice et Réconciliation », « Mission et Evangélisation », « Aide des Eglises au développement », « Aide aux prisonniers politiques et à leurs familles »…

813.

Cité dans B. CHENU, Théologies chrétiennes des tiers mondes, op.cit., p. 103.

814.

« Desmond Tutu : une voix authentique des Noirs d’Afrique du Sud », ICI, 15 juillet 1981..

815.

« Un message du Conseil des Eglises d’Afrique du Sud aux Eglises d’Europe et des Etats-Unis », Le christianisme au XXème siècle, 11 janvier 1982, p. 4.

« Appel aux Eglises d’Europe et des Etats-Unis », ICI, n°570, 15 janvier 1982, p. 56.

816.

« Un message… », Le christianisme au XXème siècle, op.cit (1982).