3-7 Figure religieuse ou leader politique ?

‘« Selon le prix Nobel de la paix : « la situation est telle en Afrique du Sud que la plupart des déclarations religieuses ont en fait une teneur politique842 ».’

La question de la nature de l’engagement de Desmond Tutu est constamment abordée par les observateurs français qui se penchent sur la personnalité de l’homme d’Eglise. La citation ci-dessus permet de comprendre que pour lui, combat politique et combat religieux ont la même nature, à condition de comprendre le terme de « politique » comme au sens des affaires de la cité (du grec politikos, « de la cité »). A la question de Paskal Chelet lui demandant s’il se sent être plus leader politique que religieux, voici ce que Desmond Tutu répond :

‘« Et Moïse, qu’était-il ? Un leader religieux ou un leader politique ? Je n’ai pas de problème pour parler haut et fort de la justice et de la paix parce que c’est lié à ma croyance en Dieu. Si on lit la Bible, il est évident que l’on parle souvent de choses que l’on appelle aujourd’hui politiques  843 ».’

Si l’engagement politique de plusieurs hommes d’Eglises est mal perçu et critiqué, c’est lorsque cette notion prend une teinte idéologie, et plus particulièrement marxiste.

Cet engagement devient encore plus épineux alors que Desmond Tutu se déclare soutenir ouvertement l’ANC, mouvement présenté par le gouvernement comme ayant des orientations « marxistes » :

‘« J’ai déjà souvent expliqué aux Blancs que je n’avais pas peur de l’épouvantail communiste brandi par les autorités. Je souffre aujourd’hui de l’apartheid, et je ne crains pas le régime (communiste) qui ne fait que représenter une menace pour les Blancs 844  ».’

Le soutien de Desmond Tutu à l’ANC est rappelé dans un article des ARM mais la précision est apportée que le soutien ne s’adresse pas à ses « méthodes marxistes 845  ». Desmond Tutu rappelle ensuite que son action est similaire à celle des prophètes qui apportaient la parole de Dieu aux puissants, dans le but de la voir s’appliquer dans un contexte précis. Cette implication dans une société torturée, Mgr Tutu la réaffirmera en prônant à plusieurs reprises la désobéissance civile846.

La presse chrétienne française va donc retenir la personnalité dynamique et radicale de Desmond Tutu, s’affirmant avec toujours plus de vigueur dans la deuxième moitié des années 80. Si l’homme d’Eglise apparaît dans la presse française alors qu’il adresse un message à la première personnalité politique du pays847, Desmond Tutu tente un nouveau dialogue avec le premier ministre P. Botha en juin 1986. « La rencontre inattendue 848» fait l’objet de plusieurs articles dans La Croix, d’autant plus qu’elle intervient 10 ans jour pour jour après les émeutes de Soweto. La rencontre a pour but de parler de l’état d’urgence qui vient d’être promulgué, réponse « maladroite et brutale 849  » d’un gouvernement qui a perdu le contrôle de la situation. A l’issu de la rencontre, l’archevêque déclare que l’entretien a été « amical 850  » mais qu’il n’est « ni plus ni moins optimiste qu’au début de l’entretien  851 ». Le dialogue parait bien vain dans une Afrique du Sud enchaînée…

Notes
842.

« Une interview du prix Nobel de la paix… », op.cit.

843.

« Afrique du Sud : les exigences de Mgr Tutu », op.cit.

844.

« Une interview du prix Nobel de la paix… », op.cit.

845.

« Royaume de Dieu ou royaume de l’apartheid ? », ARM, n°56, 15 mai 1988, p. 11.

846.

Voir notamment « Afrique du Sud : Mgr Tutu pour la désobéissance civile », ARM, n°45, 15 mai 1987, p31.

847.

« Lettre ouverte de l’évêque anglican Desmond Tutu à M.Vorster », op.cit.

848.

Noël DARBROZ, « Tutu chez P.Botha : la rencontre inattendue », La Croix, 14 juin 1986, 1ère page.

849.

« Tutu chez Botha… », op.cit.

850.

Ibid.

851.

« La rencontre inattendue », La Croix, 15-16 juin 1986, p. 18.