Un institut victime de la répression

L’Institut chrétien entraîna une rupture concrète de Beyers Naudé avec l’Eglise réformée dont il était pasteur. En mars 1963, il abandonne ses fonctions de modérateur et démissionne du Broederbond. C’est donc un pasteur « mis au ban de l’Eglise 880  » qui est présenté dans la presse. En octobre 1965, Le christianisme au XXème siècle rend compte des attaques menées contre Beyers Naudé et contre son Institut dans plusieurs articles du journal sud-africain le Sunday times 881 . Le christianisme au XXème siècle revient également sur l’affaire en 1985, s’arrêtant sur ces articles dans lesquels Beyers Naudé « divulgue des informations concrètes sur le Bond 882  » :

‘« Les articles informent le public sur l’organisation qui réunit des dirigeants religieux, politiques, économiques et universitaires. L’affaire fait grand bruit. D’autres articles publiés à la fin des années 60 et dans les années 70 achèvent de détruire l’aspect mystique du Broederbond qui lance une campagne de diffamation contre Beyers Naudé 883  ».’

Ces attaques ne seront que le point de départ de plusieurs autres menées contre Beyers Naudé et son Institut884. Dans les années 70, elles viseront davantage à saper le travail de l’Institut et comme si son expulsion de l’Eglise n’était pas suffisante, Beyers Naudé devra supporter des attaques multiples dans la presse afrikaner, l’accusant de traîtrise vis-à-vis de sa communauté et de son Eglise 885 .

Comment les chrétiens français présentèrent-ils le travail de l’Institut chrétien ? Bertrand de Luze revient sur les activités de l’Institut chrétien dans Réforme en septembre 1975886 et s’attarde sur la nature de la répression qui s’est abattue sur l’Institut. En effet, en mai 1975, l’organisme est déclaré affected organisation par le gouvernement, décision qui le prive du droit de recevoir des subsides de l’étranger et du COE887. Cette décision est clairement d’ordre politique, puisque sans soutien de l’étranger (les Eglises d’Europe le finançaient en majorité), il était évident que l’Institut chrétien aurait du mal à subsister. Dans le dossier consacré à « l’affaire de l’Institut chrétien 888  », Bertrand de Luze reproduit l’entretien qu’il a eu avec M. Burger, ambassadeur de l’Afrique du Sud en France, ce dernier donnant les raisons d’une telle mesure :

‘« L’Institut chrétien […] soutien l’idée d’un régime politique socialiste noir, il s’associe à des campagnes menées contre l’Afrique du Sud à l’extérieur. Il soutient une activité violente, ses ressources proviennent de l’étranger  889 ».’

La répression vis-à-vis de l’institut chrétien semble donc entrer dans le cadre de la lutte contre tous les organismes susceptibles de véhiculer, de près ou de loin, des idées proches du communisme890. Bertrand de Luze répond par écrit aux propos de l’ambassadeur, précisant bien que l’Institut chrétien regroupe avant tout des Eglises désireuses de proposer un message de paix :

‘« Il s’agit d’une attaque contre l’Eglise de Jésus-Christ. L’institut chrétien se bat pour la liberté en faveur de tous les hommes, tout comme l’Eglise […]. L’Institut chrétien n’est pas l’instrument d’un groupe politique, il a cherché à traduire dans les faits ce qu’il estimait être l’obéissance à J.-C 891  ».’

Après la répression mise en place contre le travail de l’Institut, Bertrand de Luze trouve nécessaire de donner son avis face aux propos accusateurs de l’ambassadeur sud-africain.

La Croix informe ses lecteurs de la répression contre l’Institut, accusé « d’être trop lié au COE, de promouvoir un changement radical de la société d’apartheid, de favoriser la théologie noire, la conscience noire et le pouvoir noir  892 ».

La répression contre l’Institut chrétien va aboutir en 1977 à l’interdiction pure et simple de son journal Pro Veritate et à l’assignation à résidence de Beyers Naudé (il le restera jusqu’en 1984, année où il prendra la succession de Desmond Tutu à la tête du SACC jusqu’en 1987). Soucieux de donner la parole à un chrétien bâillonné, les observateurs chrétiens français resteront attentifs, dans la deuxième moitié des années 80, aux déclarations d’un homme entrant littéralement en état de résistance.

Notes
880.

« Beyers Naudé, un Blanc parmi les Noirs » (1985), op.cit., p. 42.

881.

« L’Eglise dans le monde », Le christianisme au XXème siècle, n°40, 28 octobre 1965, p. 532.

882.

« Beyers Naudé », op.cit.

883.

Ibid.

884.

En 1966, le synode de la NGK décidait d’entamer une action disciplinaire contre ceux de ses membres qui appartenaient à l’Institut chrétien.

885.

Les ICI, en mai 1974, rapportent une information selon laquelle Beyers Naudé est déclaré par le tribunal de Pretoria coupable d’avoir refusé de comparaître devant une commission instituée par le gouvernement pour mener une enquête auprès de plusieurs organismes de lutte anti-apartheid. Voir « 15 jours d’actualités religieuses », ICI, n°456, 15 mai 1974, p. 25.

886.

Bertrand DE LUZE, « Afrique du Sud : christianisme, politique et apartheid », Réforme, n°1592, 27 septembre 1975, p. 7 à 11.

887.

Concrètement, cette sanction gouvernementale infligée à l’Institut chrétien entraîna le gel en banque de toutes les sommes versées par les Eglises étrangères et le COE.

888.

Bertrand DE LUZE, « Afrique du Sud : christianisme, politique… » (1975), op.cit.

889.

Ibid.

890.

Déjà en 1966, le « Conseil National contre le Communisme » animé par 3 pasteurs (dont J.D Vorster, frère du futur premier ministre) avait adressé plusieurs griefs à l’Institut, l’accusant notamment de causer la désunion du peuple afrikaner, de chercher à travailler en collaboration avec l’Eglise catholique (« son ennemi de toujours ») et de pratiquer des rencontres multiraciales alors que d’après les Ecritures saintes, les chrétiens doivent être organisés séparément… Ces critiques parurent dans le journal afrikaner conservateur Die Kerkbode en mars 1967.

891.

Ibid.

892.

« Répression à l’encontre de l’Institut chrétien », La Croix, 25 juillet 1975.