A partir de 1984, c’est souvent en tant que secrétaire général du SACC que la mobilisation de Beyers Naudé est mentionnée dans la presse chrétienne française. Ils apparaissent ainsi comme une nouvelle voix de la lutte non-violente « à la recherche d’un nouveau mode de cohabitation 893 ». Si Beyers Naudé est présenté comme l’ancien fondateur de l’Institut chrétien, sa lutte à la tête du SACC est similaire à celle qui avait été celle de Desmond Tutu au même poste :
‘« Il ne s’agit pas simplement pour ces hommes d’épouser « la cause des Noirs » contre celle des Blancs mais de travailler à la libération de tous, au nom du Christ, et à l’instauration d’une société dans laquelle tous puissent également avoir accès à la terre, à l’instruction, au pouvoir 894 ».’Le 9 juin 1986, Le christianisme au XXème siècle reproduit la déclaration du SACC à l’occasion de la commémoration des émeutes de Soweto. La déclaration est un appel à la prière certes, mais est surtout un fervent appel à tous les chrétiens pour une mobilisation nette du côté des opprimés. La déclaration prend ainsi une coloration nettement politique demandant par exemple de « prier Dieu avec ferveur et lui demander la destruction de ce régime odieux et l’avènement d’une société juste, multiraciale et démocratique, fondée sur la participation 895 ». Alors que la violence augmente dans le pays, la déclaration du SACC est perçue comme « le cri d’un homme qui souffre, d’un chrétien qui reconnaît dans quelle impasse meurtrière son peuple est désormais engagé 896 ». Beyers Naudé devient ainsi l’incarnation de la lutte des Eglises contre l’apartheid, qui subit personnellement la répression et qui continue à se positionner radicalement à la tête du SACC.
Beyers Naudé est ainsi un interlocuteur important pour les observateurs européens. Alors que les Eglises sud-africaines appellent les Eglises chrétiennes européennes à se mobiliser au moment de la commémoration des événements de Soweto, Beyers Naudé réitère les différents moyens d’actions possibles pour les Eglises étrangères. Son appel, reproduit dans les ARM le 15 juin 1986897, s’articule autour de deux points essentiels : la nécessité de s’informer auprès d’autres sources que la presse sud-africaine gouvernementale et celle d’exercer une pression sur le gouvernement pour qu’il allège l’apartheid (sanctions économiques, désinvestissements…).
L’engagement de Beyers Naudé prend une nouvelle envergure alors que l’Afrique du Sud s’engage sur la voie des négociations. Quelques jours après la libération de Nelson Mandela, Réforme reproduit l’entretien que sa correspondante a eu avec Beyers Naudé. Le titre accrocheur témoigne de l’évolution de la prise de conscience de l’ancien pasteur afrikaner : « J’accompagne l’ANC 898 ». Beyers Naudé précise bien dans son entretien qu’il n’est pas membre de l’ANC mais qu’il soutient le parti qui, pour lui, est loin d’être le parti extrémiste que la propagande gouvernementale s’est chargée de présenter :
‘« C’est un mouvement politique qui souhaite un futur non racial et démocratique pour l’Afrique du Sud. Ses objectifs : des droits, des chances et des responsabilités égales pour tous, Blancs et Noirs 899 ».’Si le programme de l’ANC rejoint celui pour lequel se battent les Eglises sud-africaines depuis de nombreuses années, Beyers Naudé se positionne plus radicalement d’un point de vue politique, déplorant l’interdiction faite au parti communiste d’exister. Si Beyers Naudé n’adhère pas au parti communiste, il s’attache à préciser que les Eglises ne doivent pas diaboliser le message du SACP (South Africain Communist Party) mais le transformer :
‘« Les Eglises doivent comprendre que leur critique de l’injustice, de la discrimination et du racisme a été également celle du SACP […]. L’Eglise doit bâtir une nouvelle approche de la liberté, de la justice, de la libération et de la réconciliation 900 ».’D’après Beyers Naudé, la transition du pays vers la démocratie et l’avènement d’une société multiraciale se feront avec les Eglises. Pragmatique et bien conscient qu’un message évangélique non accompagné d’actes et d’engagements sera inutile, Beyers Naudé justifie ainsi son engagement auprès de l’ANC qui sera une force essentielle pour la transition, rappelant que des rapprochements avec les principaux mouvements de libération étaient déjà d’actualité alors qu’il était secrétaire général du SACC :
‘« Enfin, c’est moi qui, en tant que secrétaire général du SACC ai initié des rencontres entre les Eglises, le PAC et l’ANC. J’ai souhaité mettre ma foi chrétienne à la disposition des objectifs de l’ANC 901 ».’Ces propos de Beyers Naudé marquent donc une nouvelle dimension dans l’engagement des Eglises et particulièrement du SACC : si l’engagement auprès des opprimés à toujours été clair, Beyers Naudé affirme pour la première fois en 1990 son soutien au mouvement de libération légalisé depuis quelques jours. Ces déclarations à l’égard du SACP montrent bien que les données politiques ont changées et que comme l’affirmait déjà Desmond Tutu, Eglises et partis politiques peuvent œuvrer main dans la main pour une transition réussie. Si Ariane Bonzon n’interroge pas Beyers Naudé sur le recours passé de l’ANC à la violence à partir des émeutes de Sharpeville, un entretien paraissant dans les ARM en septembre 1990 aborde la question de ce recours par l’ANC. Beyers Naudé répond de la manière suivante :
‘« La violence primaire vient du système d’apartheid. Il n’est pas juste ni équitable de demander à l’ANC de renoncer d’abord à la violence alors que le gouvernement peut continuer tout bonnement à exercer la sienne par sa police, par ses lois, et par le système d’apartheid 902 ».’L’itinéraire de Beyers Naudé est présenté par les observateurs chrétiens français comme étant la preuve qu’une résistance à l’apartheid est possible au sein de la population blanche. Bien sûr, l’appartenance de Beyers Naudé à un milieu calviniste conservateur et à la NGK a rendu encore plus impressionnante et radicale sa prise de conscience. L’histoire de Beyers Naudé est donc celle d’un homme qui a tourné le dos à son passé et à sa culture et a mis sa foi au service des opprimés en prônant une participation des Noirs à la vie politique, sociale et économique du pays. Le portrait dressé jusqu’au milieu des années 70 relève la personnalité militante et consciente de Beyers Naudé alors qu’il subit plusieurs attaques diffamatoires de la part de son ancienne Eglise. La personnalité résistante de Beyers Naudé prendra une nouvelle envergure à partir de 1977, à la suite de la vague de répression sapant le travail de l’Institut chrétien, la même répression ayant bâillonné d’autres ecclésiastiques (dont M. Mkhatshwa) et mouvements issus de la conscience noire. Un silence dans la presse française est observable durant les années de bannissement de Beyers Naudé (de 1977 à 1983). L’ancien pasteur reviendra un interlocuteur important alors qu’il devient secrétaire général du SACC en 1984, prônant, comme le fit avant lui Desmond Tutu, une meilleure information sur les effets réels de l’apartheid et des moyens de résistance non-violents (désinvestissements, sanctions…). Les observateurs chrétiens français ont donc été particulièrement sensibles au parcours de cet afrikaner et à sa « conversion », qui a prouvé qu’une culture et des préjugés pouvaient être dépassés. Il est permis de penser qu’il incarna également une sorte de « caution » blanche à la lutte anti-apartheid capable de convaincre les indécis qu’un tel engagement pouvait venir « de l’intérieur » et que ce combat pouvait émaner également de personnalités qui n’étaient pas les victimes du système de l’apartheid.
Si l’institut chrétien fut rapidement touché par la répression, l’empêchant ainsi d’effectuer un travail efficace et à grande échelle chez les chrétiens sud-africains, Beyers Naudé fut une voix majeure au sein des Eglises chrétiennes sud-africaines dans les années 80. Alors que la transition vers un régime démocratique s’amorce au début des années 90, il devient l’un des initiateurs d’un rapprochement avec les mouvements de libération.
A.M GOGUEL, « Editorial », Le christianisme au XXème siècle, n°30, 26 août 1985, 1ère page.
Anne-Marie GOGUEL, n°30, 26 août 1985, première page.
« Afrique du Sud : jeûne et prière », Le christianisme au XXème siècle, n°71, 9 juin 1986, p. 6.
Ibid.
Bertrand DE LUZE, « En Afrique du Sud, les chrétiens n’ont plus le choix » (1986), op.cit., p18.
Ariane BONZON, « Entretien avec Beyers Naudé : « j’accompagne l’ANC » », Réforme, n°2341, 24 février 1990, p. 12.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
« Eglises et pouvoirs en Afrique du Sud », ARM, n°81, 15 septembre 1990, p. 32.