L’engagement politique d’Allan Boesak

En 1983, Allan Boesak participe à la formation de l’UDF (Union Democratic Front), grande plate-forme politique regroupant plus de 700 organisations anti-apartheid et rassemblant des gens de toutes couleurs, des syndicats, des organisations religieuses, politiques et sociales... Le but de l’UDF est alors de s’opposer à la réforme constitutionnelle proposée par le président Botha et visant à une meilleure représentation politique des Indiens et des Métis.

C’est à partir de son engagement au sein de l’UDF que la presse chrétienne française commence à porter son attention sur Allan Boesak. Le 15 septembre 1984, Daisy de Luze dans Réforme dresse le tableau de la résistance née au sein de la jeunesse noire sud-africaine luttant contre la ségrégation dans le domaine de l’éducation mais aussi contre la réforme constitutionnelle. Des personnalités résistantes s’affirment alors au sein des Eglises :

‘« Un homme, comme le pasteur Allan Boesak, l’un des 15 responsables du Parti Démocratique Uni, président de l’Alliance Réformée Mondiale, vice-président du SACC, est menacé aujourd’hui plus qu’il ne l’a jamais été dans le passé, par une campagne de diffamation menée par la presse afrikaans et le Parti Libéral. Il est en outre accusé d’avoir participé à des attaques à la bombe 907  ».’

Daisy de Luze fait référence à l’accusation adressée à Allan Boesak d’entretenir une relation amoureuse avec une Blanche travaillant au SACC… Une longue citation dans l’article reprend une lettre ouverte écrite par Allan Boesak au ministre de la justice (A. Schlebusch) en 1979 dans laquelle il laisse apparaître des positions radicales sur l’illégitimité du régime d’apartheid et défend l’idée de la désobéissance chrétienne à des lois injustes, quelles qu’en soient les conséquences :

‘« Si un chrétien, par motif de conscience, se sent contraint à exprimer des critiques qui le mettent en conflit avec l’Etat, alors il doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Dans ce cas, il doit se préparer à accepter de souffrir en communion avec Christ et ses apôtres 908  ».’

« Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » : cette injonction tirée de la Bible (Actes5,29) sera la source de la mobilisation et de la résistance chrétienne sud-africaine. Comme nous le verrons plus tard, elle sera lisible en filigrane dans le document Kairos en 1985. Allan Boesak incarne ainsi, aux yeux des observateurs français, une résistance chrétienne militante, une Eglise impliquée, capable de contester des lois et un régime injuste et tyrannique. Daisy de Luze dresse le même tableau dans les ARM, en mettant en évidence qu’il est préférable d’obéir au message de l’Evangile plutôt qu’à des lois discriminatoires :

‘« Appuyés sur l’étude de la Bible, la prière et l’obéissance, ils refusent de se soumettre à des lois injustes, ils refusent de désespérer et ils paient le prix de leur engagement  909 ».’

La double nature (politique et théologique) de l’engagement de telles personnalités, n’est donc pas sans conséquence. Alors que plusieurs articles rappellent l’implication d’Allan Boesak au sein de l’UDF910, d’autres se concentrent de nouveau sur sa personnalité et son parcours à partir de septembre 1985, alors qu’il est arrêté par la police sud-africaine :

‘Allan Boesak a été arrêté préventivement, et accusé « d’atteinte à la sûreté de l’Etat » parce qu’il est l’un des fondateurs du « Front Démocratique Uni » (UDF) et initiateur de la marche symbolique qui devait se dérouler au Cap, le 28 août, marche qui a fait l’objet d’une répression sanglante 911  ».’

Cette arrestation conduit Anne-Marie Goguel à se questionner sur la nature du combat à mener en Afrique du Sud912. Elle rappelle que seule la voix de la non-violence est possible pour assurer la sortie du pays vers une société multiraciale. Allan Boesak est, dans son itinéraire personnel, le symbole de la réconciliation nécessaire :

‘« Allan Boesak a raconté, dans une interview avec la BBC, comment, jusqu’à son adolescence, il avait, lui métis, « hait » les Blancs dont le rejet à son égard blessait une part profonde de lui-même, jusqu’à ce que la rencontre avec Beyers Naudé et « l’Institut Chrétien » ait désarmé en lui la haine et rendu possible, en lui et hors de lui, la réconciliation symbolique entre « Noirs » et « Blancs » dont les deux millions et demi de « Métis » sont peut-être, en Afrique du Sud, à la fois l’enjeu et le symbole 913  ».’

Comme le souligne Anne-Marie Goguel, le rôle de l’Eglise est bien de se placer à la pointe du combat civique et se placer et du côté des opprimés. Allan Boesak est le digne représentant de ces Eglises chrétiennes résistantes, véhiculant toutes ce même message . De plus, en tant que métis, il a pu mettre en évidence le statut délicat de cette population et l’inclure dans une lutte où toutes les populations non-blanches seraient unies. Son arrestation entraîna l’attention de plusieurs observateurs français qui se déclarèrent solidaires de son combat. Ariane Bonzon dresse de nouveau son portrait dans Réforme alors que les chrétiens du monde commémorent le dixième anniversaire des émeutes de Soweto. Engagé au sein de son Eglise, Allan Boesak se sent, alors que le contexte politique s’aggrave dans le pays, face à un cruel dilemme et en proie à un désespoir qui apparaît dans un article de Réforme en septembre 1985 :

‘« Ce serait irresponsable de ma part de dire aux gens : « allons manifester pacifiquement », quand je sais que la réponse du gouvernement à ces protestations non-violentes ne sera pas d’examiner les lois et de les changer mais tout simplement d’envoyer des militaires pour tuer les gens. Je suis devant un terrible dilemme  914 ».’

Si plusieurs portraits d’Allan Boesak apparaissent dans la presse française en 1986, c’est aussi à l’occasion de la sortie d’un film documentaire « Allan Boesak, choisir la justice » (réalisé en 1984 par Nadine Gordimer et Hugo Cassirer) diffusée à la télévision française dans le cadre de l’émission « Présence protestante » du dimanche 15 juin. Alors que Réforme annonce cette diffusion dans son numéro du 14 juin915, le Christianisme au XXème siècle 916 fait également une courte présentation du film en présentant en première page une photo du pasteur métis. Il semble donc que la réalisation et la diffusion de ce film de 28 mn proposant un portrait d’Allan Boesak ait eu un certain impact sur les observateurs chrétiens. La mention et la « publicité » de ce film dans ces articles marquent ainsi la volonté claire des observateurs chrétiens de permettre sa diffusion plus large et une meilleure connaissance de la résistance chrétienne à l’œuvre en Afrique du Sud.

Notes
907.

Daisy DE LUZE, « « C’en est assez ! » crie tout un peuple » (1984), op.cit.

908.

Ibid.

909.

Daisy DE LUZE, « Ces pasteurs réformés qui refusent l’apartheid », ARM, n°27, 15 octobre 1985, p. 37.

910.

Voir par exemple Bertrand DE LUZE, « En Afrique du Sud, les chrétiens n’ont plus le choix », ARM, n°35, 15 juin 1986, pp. 16-18.

911.

Anne-Marie GOGUEL, « L’engagement non-violent de l’Eglise », Réforme, n°2108, 6 septembre 1985, p3. Allan Boesak avait en effet organisé une marche sur Polsmoor Prison au Cap afin de demander la libération de Nelson Mandela.

912.

La Fédération Protestante de France a réagi à cette arrestation par un court communiqué, se déclarant indignée que le régime de Pretoria s’en prenne à un responsable de la lutte non-violente pour l’émancipation des Noirs. D’après la FPF, le régime « prend la lourde responsabilité de provoquer lui-même la violence qu’engendre son entêtement à maintenir l’inacceptable régime de l’apartheid », in « l’engagement non-violent… », op.cit.

913.

Ibid.

914.

« Allan Boesak : choisir la justice », op.cit.

915.

Ibid.

916.

« 16 juin : journée de prière et de jeune pour l’Afrique du Sud » (1986), op.cit., p. 6.