5-3 La réception du document dans la presse chrétienne française

Le bulletin du COE (SOEPI) informe, dès octobre 1985, de la parution du document Kairos, cet article servant ainsi de « source » aux autres journaux chrétiens qui reprendront l’information. SOEPI reproduit également, sur trois pages, plusieurs passages du document. La présentation qui en est faite est la suivante :

‘« Ce document explosif a vu le jour à Soweto. Dans une « situation de mort » qui va s’aggravant, alors qu’il y a de plus en plus de morts, que les cités noires sont envahies par la police, qu’elles se révoltent les unes après les autres contre l’apartheid, des théologiens se sont réunis pour réfléchir sur la réponse la plus appropriée des Eglises et de tous les chrétiens en Afrique du Sud 939  ».’

Le caractère historique du document est donc déjà bien perçu par le COE. Face à la situation dramatique que traverse l’Afrique du Sud, René Lacoutumette salue l’engagement des chrétiens au sein de l’ITC et la rédaction du document Kairos, acte de résistance face à « l’hérésie de la théologie du gouvernement 940  ».La même année, La documentation catholique rapporte également la parution du document. La revue catholique reproduit en fait le rapport de la visite d’une délégation catholique canadienne effectuée au début de l’année 1986 dans le but d’étudier la situation et l’engagement des Eglises chrétiennes en Afrique du Sud. La démarche du document Kairos est perçue de la façon suivante :

‘« Ce document exprime non seulement un regain de militantisme dans les milieux religieux d’Afrique du Sud, mais aussi une certaine impatience à l’égard des déclarations ecclésiastiques traditionnelles contre l’apartheid 941  ».’

La délégation canadienne poursuit son rapport en affirmant sa solidarité totale avec les rédacteurs du document et réclame que la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) entreprenne l’étude du document Kairos. Aucune déclaration équivalente des évêques français n’apparaît dans La documentation catholique. La parution du document Kairos passe donc pratiquement inaperçue dans la presse catholique française. Citons cependant une courte référence au document dans le bulletin de l’agence Fides qui rapporte la réaction critique de l’épiscopat sud-africain au document942. Ce sont finalement les ARM qui donnent les informations les plus éclairées sur le document dans un article long de 2 pages et qui parait en novembre 1985943 : l’importance du document est bien reconnue puisqu’il est présenté comme étant « la version sud-africaine de la théologie de la libération », né dans un contexte de violence et de répression intense. Si l’importance du Kairos n’est pas niée, le journaliste insiste sur la virulence des propos qui y sont tenus et de « l’âpreté [du document] à l’égard de ceux qui seraient tentés de privilégier le dialogue avec les autorités civiles, sur toute autre forme d’actions contre l’apartheid 944  ». Le journaliste perçoit ainsi très bien que la formulation d’une théologie prophétique est difficilement conciliable avec un discours diplomatique…

A la lecture de la conclusion de l’article, il est finalement assez difficile de comprendre le jugement de l’observateur sur l’envergure du document, revenant sur le caractère novateur du document qui avait pourtant été relevé dans le corps de l’article :

‘« Une théologie qui fournirait aux chrétiens des éléments bibliques, spirituels et pastoraux pour affronter la situation reste à élaborer. Le Kairos document n’en suggère que les grandes lignes, celles d’une théologie somme toute très classique qui considère légitime de renverser, au besoin en recourant à la violence, un régime tyrannique945 ».’

Cet article, et particulièrement sa conclusion, témoigne en fait des questionnements de plusieurs observateurs français face à une théologie prophétique qui, plutôt que de prôner la réconciliation, adopte un ton plus virulent et propose des pistes d’actions concrètes. Cette théologie sud-africaine paraît ainsi peu viable et est jugée comme ne parvenant pas à proposer un message efficace pour une sortie de la crise… De tels propos sont étonnants car la « tiédeur » n’est pas vraiment le sentiment qui transparaît à la lecture du document…Pour finir, la brève référence à la légitimité du recours à la violence, donnée aussi « sèchement » prouve bien une certaine tendance à la caricature et au simplisme de la part du rédacteur de l’article…

La presse réformée fera davantage référence au document, même si le sujet restera peu traité. Dans un article de Réforme consacré à la mobilisation des Eglises, Julia Rimbaud consacre quelques lignes au document, simplement présenté comme traitant « des rapports entre Eglises et l’Etat 946  ». Si la journaliste ne fait pas de présentation précise du document, elle reproduit la déclaration du doyen de la faculté de théologie de Stellenbosch :

‘« Je crains que les rédacteurs de Kairos aient utilisé la théologie pour combattre l’apartheid de la même façon qu’ils le reprochent aux Afrikaners pour justifier l’apartheid947 ».’

Les lecteurs de Réforme n’en sauront donc pas plus sur le contenu théologique du document. Ils n’en sauront pas davantage en lisant le Journal des missions évangéliques deux ans plus tard qui minimise la portée du document, ce dernier étant présenté tout aussi brièvement948.

Autrement dit, le contenu du document Kairos n’est jamais décrit par les observateurs chrétiens français. De l’engagement des chrétiens sud-africains, les observateurs chrétiens ne retiendront que celle de certaines personnalités (Mgr Hurley, Desmond Tutu, Allan Boesak…) ou celle d’organismes (SACC, SACBC, Institut chrétien…). Sans connaissance précise du document Kairos, les lecteurs sont privés d’une illustration et d’une formulation concrète de ce que peut incarner la théologie contextuelle en Afrique du Sud. Lorsqu’elle en parle, la presse chrétienne française présente le Kairos comme un document à la nature et à la portée plus politiques que théologiques.

Notes
939.

« Afrique du Sud : un document qui fera date », SOEPI, n°34, 11 octobre 1985, p. 6.

940.

René LACOUTUMETTE, « Kotso House » (1986), Le christianisme au XXème siècle, op.cit., p. 12.

941.

« Le drame de l’apartheid en Afrique du Sud » (1986), La documentation catholique, op.cit., col 714.

942.

« Non à la violence », Fides, n°3425, 12 avril 1986, NF 184.

943.

S.M, « Face à l’apartheid, 151 théologiens somment les Eglises de choisir », ARM, 15 novembre 1985, p30-31.

944.

Ibid.

945.

Ibid.

946.

Julia RIMBAUD, « Des Eglises en état d’urgence », op.cit., p. 7.

947.

Ibid.

948.

Julia RIMBAUD, « Quelques acteurs en Afrique du Sud », Journal des missions évangéliques, n°4, octobre-décembre 1988, p. 179.