5-5 Pourquoi le document Kairos est-il reçu si timidement en France ? Tentatives d’explications

L’étude du regard posé sur l’engagement des chrétiens sud-africains se termine donc par celle de la réception en France du document Kairos. Si la portée du document a été importante en Afrique du Sud, il n’en a pas été de même en France où les commentaires sur le document ont été rares et discrets. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour comprendre ce silence : un message théologique trouvant une faible résonance dans un pays qui ne connaît pas les mêmes réalités sociales et politiques que l’Afrique du Sud, une diffusion trop restreinte en France… Une autre interrogation doit être abordée : la théologie prophétique apparaîtrait-elle trop « politique », radicale et engagée pour des chrétiens français peu habitués à un tel ton au sein de leurs Eglises ?

La théologie contextuelle telle qu’elle est formulée en Afrique du Sud dans les années 80 reprend les lignes essentielles de la théologie de la libération élaborée et développée dans les années 70 en Amérique latine. Les deux théologies reprennent ainsi, et placent au centre de leur message, l’idée d’une Eglise se positionnant auprès des pauvres et des opprimés. Cette « option pour les pauvres », développée également lors du concile Vatican II poussa les théologiens à aborder d’autres notions, très présentes dans la théologie de la libération et reprises par les théologiens du Kairos notamment : le positionnement de l’Eglise auprès des pauvres implique une conception politisée de la société et fait forcément naître une notion sous-jacente de « lutte des classes » basée sur des critères économiques et socialisants.

Equivalent sud-africain de la théologie de la libération latino-américaine, la théologie prophétique, en abordant les thèmes de libération et de lutte et en s’éloignant d’une théologie de la réconciliation dominante en Europe, a ainsi pu déstabiliser beaucoup d’observateurs français.

Ainsi, s’il est possible d’envisager que la dimension politique ait pu empêcher les Français de prendre position en faveur d’un tel document, l’observation ne peut être étendue aux chrétiens mobilisés pour l’Afrique du Sud. En effet, les réseaux chrétiens français impliqués dans la question sud-africaine étaient des réseaux eux-mêmes militants, posant un regard souvent positif sur l’engagement des personnalités chrétiennes sud-africaines. Un fait mérite cependant d’être signalé : des réseaux chrétiens présents dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou la Belgique ont largement commenté et « assimilé » le document Kairos, partageant cette même vision sud-africaine d’une théologie contextuelle.

Je pense enfin que le peu d’écho que le document Kairos a trouvé en France est tout simplement révélateur de la place (discrète) que la lointaine question sud-africaine a occupé dans les journaux chrétien français.