1-2- Les premières mobilisations

Dans les années 70, la commission « Justice et Paix » française regroupe en son sein une quinzaine de membres, laïcs ou non. Citons quelques personnes, membres au début des années 70 : René Delécluse, Philippe Farine, Bernard Lalande, Gabriel Marc, René Valette. Plusieurs d’entre eux occupent ou occuperont d’ailleurs des postes importants au sein du CCFD (P. Farine, G. Marc, R. Valette….).

Si elle est bien un organe officiel de l’Eglise catholique, il est paradoxalement assez difficile de retracer son évolution dans le détail. Tout d’abord la réflexion autour de la question sud-africaine s’est élaborée de manière assez informelle au sein de groupes réduits. Ensuite, comme je l’ai déjà dit, il m’a été impossible de consulter les archives antérieures à 25 ans, le CNAEF (Centre national des archives de l’Eglise de France) en interdisant l’accès. Concernant les documents des années 70 auxquels j’ai eu accès, ils se composent surtout de procès-verbaux de réunions et de documents internes permettant d’appréhender les étapes d’une mobilisation au sein de la commission.

Un document intitulé « L’Afrique du Sud et nous, chrétiens de France995  » rédigé par Pierre Toulat en avril 1976 dresse « déjà » un historique de la mobilisation française qui a ainsi commencé plusieurs années avant les émeutes de Soweto. Le préambule au texte montre bien la nature donnée à la question sud-africaine :

‘« C’est l’apartheid qui nous occupe ici. Comme on le verra, il n’est pas possible de mener une action contre l’apartheid sans prendre en considération ses implications économiques et politiques. Enfin, la lutte contre l’apartheid là-bas conduit d’une part à examiner de plus près la politique française à l’égard de la république sud-africaine et, d’autre part, à repérer les signes de racisme dans notre propre pays ».’

La question de l’apartheid doit donc trouver une résonance en France et surtout se doit d’être abordée dans sa globalité et pas seulement comme une « seule » atteinte aux libertés fondamentales des non-Blancs.

Le premier « contact » avec l’Afrique australe a lieu en juin 1972 alors que Mgr Ménager, président de la commission (1967-1984), et son secrétaire général Pierre Toulat rencontrent un représentant de la SWAPO. Cette rencontre fournit le premier écho de l’occupation de la Namibie par Pretoria et de la mise en place du système d’apartheid, à l’intérieur de l’Afrique du Sud comme en Namibie. Les événements qui secouent le Mozambique avant que le pays n’accède à l’indépendance en 1975 (et notamment le rôle de déstabilisateur de Pretoria à cette période) vont également susciter un intérêt nouveau pour la région.

Un an plus tard, le Père belge François Houtart, déjà sensibilisé par la situation vécue par l’Eglise catholique en Afrique du Sud, demande qu’une rencontre soit organisée entre Smangaliso Mkhatshwa, qui effectue un cycle d’étude à l’Université catholique de Louvain, et Pierre Toulat. L’entretien permet à ce dernier de comprendre l’engagement de l’Eglise catholique sud-africaine sur les questions raciales. Avant qu’il ne devienne secrétaire de la Conférence épiscopale et qu’il ait à subir le bannissement en vertu de son engagement, Smangaliso Mkhatshwa devient ainsi un interlocuteur privilégié pour les catholiques de France et d’Europe, capable de témoigner des réalités du système et de la résistance de la plupart des Eglises missionnaires sud-africaines.

D’autres interlocuteurs sud-africains suivent : trois ans plus tard, la commission accueille Mgr Hurley, archevêque de Durban en visite à Paris, notamment pour recevoir la légion d’honneur. Reçu par Mgr Ménager, il profite d’une conférence de presse pour témoigner des positions de l’Eglise catholique sud-africaine vis-à-vis de l’apartheid et pour exprimer sa crainte de voir un isolement économique de l’Afrique du Sud entraîner une hausse du chômage parmi les populations non-blanches996.

Notes
995.

Pierre TOULAT, « l’Afrique du Sud et nous, chrétiens de France », CJP/76/28, 12 avril 1976.

996.

« « Le temps presse », dit Mgr Hurley », La Croix, 16 octobre 1975.