1-4 Avant la formation du groupe-inter, engagements et hésitations catholiques

Quel type d’action ? la participation à la commission d’enquête contre l’apartheid

Au début de l’année 1976, plusieurs membres de la commission, et Pierre Toulat en tête, se posent la question de l’action à mener auprès d’autres organismes. Cette réflexion naît alors que le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) lance l’idée d’une « mise en procès » de l’apartheid à la suite de l’arrestation du poète afrikaner Breyten Breytenbach1005. Naît alors la Commission d’enquête contre l’apartheid, composée de plusieurs personnalités et organisations confessionnelles ou non. Parmi eux, citons Pierre Toulat (au nom de « Justice et Paix ») et Anne-Marie Goguel (groupe « racisme » de la CSEI)1006… Les archives de Justice et Paix permettent de comprendre l’historique de l’implication de « Justice et Paix » au sein de la commission d’enquête.

L’idée de participer à un groupe de travail réunissant des personnes de différentes provenances germe au sein de la commission dès janvier 19761007.

Dans le procès-verbal de la réunion de « Justice et Paix » du 14 janvier 1976, il est noté que « la commission est favorable à la participation de son secrétaire à tel ou tel groupe de travail où se rencontrent des gens de différentes provenances 1008  ». Quelques mois plus tard, un nouveau procès-verbal rend compte de la participation de M. Pettiti à une réunion préparatoire de la Commission qui a pris le nom de Commission d’enquête sur l’apartheid. A l’issu de cette réunion, M. Pettiti précise bien « qu’il faut veiller à ce que le jury de cette commission ne se transforme pas en tribunal [et] insiste pour que l’on étudie les aspects ponctuels de la politique d’apartheid 1009  ».

C’est lui qui participe à la première session du 23 mai 1976 alors que Pierre Toulat et le pasteur Guiraud participeront à l’élaboration du texte final à l’issu de la deuxième session du 29 juillet. Si la commission déclare être en accord avec ce texte, le Père Ménager souligne la nécessité pour la commission catholique de ne pas s’inscrire dans une contestation qui pourrait paraître trop idéologique, notamment concernant le soutien exprimé par la commission d’enquête aux mouvements de libération1010.

A la suite des 2 sessions, la Commission édite un recueil de textes, résultats des travaux de réflexion menés pendant les sessions. Ces textes sont donc édités en France alors que la répression sud-africaine s’est accrue de façon tragique à la suite des émeutes de Soweto. Le rapport pointe notamment le doigt sur les relations existantes entre la France et l’Afrique du Sud :

‘« Le soulèvement de Soweto a eu lieu quelques semaines après la première session de la Commission ; la vente par la France de deux centrales nucléaires à l’Afrique du Sud a été annoncée quelques jours après cette même session, venant tragiquement confirmer la violence décrite dans les rapports de la Commission et la participation qu’y prend la France1011 ».’

Pendant les sessions, les groupes de travail ont préparé et présenté des rapports portant sur différents points : implications des Eglises sud-africaines dans la lutte, fondements idéologiques de l’apartheid, politique des bantoustans :

‘« En octobre 1976, les Français ont été abreuvés ad nauseam d’une information sur un pays dont on parle peu. L’Afrique du Sud, nous annonçait-on très sérieusement, venait d’accomplir un grand pas en avant en accordant l’indépendance à un « bantoustan », le Transkei, dans le cadre de sa politique dite de « développement séparé ». Quelle était la réalité de cette mesure1012 ? ».’

La commission met également l’accent sur l’apport de la France au renforcement du régime, par la description des relations industrielles et commerciales et la récente collaboration en matière nucléaire.

Après sa participation aux deux réunions de la commission d’enquête (les 23 mai 1976 et 28 janvier 1977), « Justice et Paix » manifestera son accord sur l’ensemble du rapport final, même si « le Père Ménager fait remarquer qu’il y a un soutien aux mouvements de libération qui lui fait question  1013».

Notes
1005.

Hostile à la discrimination raciale, le poète Breyten Breytenbach s’exila en France en 1961. A la suite d’un voyage clandestin en Afrique du Sud, il est arrêté en novembre 1975 et emprisonné pour « activités terroristes » pour une période de 9 ans. A cette nouvelle et en guise de soutien, des amis du poète formèrent le Comité Breytenbach

1006.

D’autres personnalités formeront cette commission d’enquête : Henri Alleg (journaliste), Roland Barthes (écrivain et sémiologue), Georges Casalis (professeur de théologie), Jean-Marie Domenach (écrivain), Jean Ziegler (professeur). Plusieurs mouvements syndicalistes adhérèrent également à la commission (CGT, CFDT), tout comme des organisations de défense des droits de l’homme (Cimade, Amnesty international, MRAP, Ligue des droits de l’homme…).

1007.

Réunion du 14 janvier 1976, CJP/76/7.

1008.

Réunion du 14 janvier ­1976, CJP/76/7.

1009.

Compte-rendu de la réunion du 11 mai 1976, CJP/76/37.

1010.

Réunion du 15 février 1977, CJP/77/17.

1011.

La France et l’apartheid : documents de la commission d’enquête sur l’apartheid en Afrique du Sud, Paris, L’Harmattan, 1978, p. 3.

1012.

La France et l’apartheid, op.cit., p. 66.

1013.

Compte-rendu de la réunion du 15 février 1977, CJP/77/17.